Accéder au contenu principal

Teotihuacan et Tikal: comment le LiDAR met en évidence leurs liens étroits

En dépit de la pandémie qui bloque encore et toujours les projets archéologiques au Mexique, Teotihuacan a été au cœur des annonces et des publications pendant ces dernières semaines. Tout d'abord, ce fut Sergio Gómez, directeur du Proyecto Tlalocan, qui a présenté aux médias mexicains une découverte rarissime en contextes mésoaméricains. 

Alors que son équipe pensait en avoir fini avec l'exploration du tunnel qui parcourt la Citadelle de Teotihuacan sous la pyramide adossée à celle de Teotihuacan (ill.1) et qui a permis la découverte de quelques 100 000 objets déposés il y a plus de 1800 ans, une dernière surprise de taille attendaient les archéologues palynologues et les restaurateurs de l'INAH.

Ill. 1. Tunnel de la Citadelle.
Proyecto Tlalocan-Hector Montaño/INAH.

Quatre bouquets de fleurs surgirent du sol (ill. 2), accompagnés de grains de maïs, de haricots, de graines de piments, de courges, de tuna, le fruit du figuier de barbarie, d'une sculpture en forme de pyramide reprenant les éléments de talus-tablier, typiques de l'architecture teotihuacaine, et plusieurs kilos de charbon.  

Ill. 2. Un des quatre bouquets de fleur retrouvés dans le tunnel sous la Citadelle.
Photo: Proyecto Tlalocan/INAH.

Pour en savoir plus sur cette découverte, nous invitons à voir le reportage que La Jornada maya a publié sur sa chaîne Youtube.


Selon Gómez Chávez, il est particulièrement remarquable que nombre des objets et des matériaux déposés dans le tunnel furent importés de la région. 

La relation entre Teotihuacan et la zone maya n'est pas fortuite. Plusieurs hypothèses dans les années 80 et 90 avaient émises à partir de travaux épigraphiques et iconographiques. Mais les fouilles entreprises dans le cadre du Proyecto Plaza de las columnas (en espagnol), co-dirigé par Nawa et Saburo Sugiyama à partir de 2015, ont mis de nouveau en évidence les liens politiques et économiques qui unissaient la grande métropole du centre du Mexique au début de notre ère et différentes villes mayas de l'actuelle Péten comme Tikal et Kaminaljuyú. 

D'autre part les deux archéologues japonais ont notamment publiés des interprétations de cartes récupérées par la technologie LiDAR au dessus des quelque 165 km2 sur lesquels s'étendait Teotihuacan et sa proche banlieue ! À titre indicatif, Paris et sa petite couronne s'étendent sur 650 km2. Ils estiment à 65 % les constructions actuelles effectuées sur l'ancienne ville. 

Ill. 3. Carte LiDAR de la Vallée de Teotihuacan.
Photo: Proyecto Plaza de las Columnas/INAH.

Dans un article publié sur la plateforme PLoS ONE, Sugiyama et collègues (2021) montrent que la construction de Teotihuacan a nécessité une planification rigoureuse et une grande organisation d'envergure incroyable : ont été enregistrés parallèlement 1061 ensembles architecturaux, 6314 terrasses, et 169 dépressions, tous dûs à des activités humaines. La profonde empreinte humaine sur le paysage de la vallée de Teotihuacan s'exprime par d'autres manières : deux principales rivières qui traversent Teotihuacan ont été soigneusement canalisées pour faciliter l'irrigation des cultures et l'approvisionnement en eau pour une population estimée à plus de 100 000 habitants à son apogée. Autre découverte surprenante : les alignements archéoastronomiques continuent d'influencer les constructions modernes. Cela signifie qu'aujourd'hui encore les axes de construction orientés à 15° au Nord sont utilisés. D'autres les ouvrages d'aplanissement auraient nécessité pas moins de 372 056 m3 de matériaux alors que le volume accumulé pour aplanir, construire les terrasses, les ensembles architecturaux et les pyramides se calcule en centaines de millions de m3. En conclusion le paysage original de la vallée de Teotihuacan a souffert pendant cinq siècles des altérations substantielles dont les effets sont encore notables aujourd'hui.

Mais revenons au lien entre Teotihuacan et la zone maya. Tout récemment un article publié dans la revue en ligne Antiquity par un groupe d'archéologues propose là encore des lectures de données LiDAR pour le très connu site de Tikal. Couplées à des parcours sur le terrain et des fouilles par sondage, leur interprétation propose notamment l'existence d'un ensemble de bâtiments (Structure 6d) qui reprendrait le code architectural et iconographique de Teotihuacan. Situé tout près de l'ensemble du Monde perdu, il émulerait notamment la Citadelle de Teotihuacan (ill. 4), les plateformes surélevées qui la composent et la pyramide du serpent à plumes qui s'élève sur le flanc oriental. Autre point commun, la présence d'un enterrement sous cette structure a été detecté sur la partie sud que l'équipe américano-guatémaltèque espère fouiller cette année. Sur son versant nord, des restes humains, victimes de sacrifice et accompagnés d'objet en obsidienne ont été retrouvés.

Ill. 4. Vue LiDAR du Complexe Teotihuacan à TIkal. 
Photo: T. Garrison/PACUNAM.

Autre point commun, la présence d'un enterrement sous cette structure a été detecté sur la partie sud que l'équipe américano-guatémaltèque espère fouiller cette année. Sur son versant nord, des restes humains, victimes de sacrifice et accompagnés d'objet en obsidienne ont été retrouvés. L'ensemble reprend également l'orientation astronomique de 15° E propre à Teotihuacan. 

Reste, comme me l'a indiqué P. Bonnefoux, une dernière preuve de taille pour corroborer le liens entre Tikal et Teotihuacan : des analyses d'isotopes, notamment celles de strontium. Elles démontreraient que des individus enterrés à Tikal ont vécu dans le centre du Mexique à un moment. L'archéologie est affaire de patience, de cuisson à feu doux, comme l'affirme à juste titre Leonardo López Luján. Laissons donc le plat mijoter quelques temps encore pour que son fumet et ses saveurs n'en soient que plus agréables.

Référence
Lagos, A. (14 juillet 2021). "Cuatro ramos de flores de más de 1.800 años cierran la exploración del túnel de Teotihuacan", El País, retrouvé le 30/09/2021: https://elpais.com/cultura/2021-08-14/cuatro-ramos-de-flores-de-mas-de-1800-anos-cierran-la-exploracion-del-tunel-de-teotihuacan.html

Houston, S., Ramírez, E., Garrison, T., Stuart, D., Ayala, H., & Rosales, P. (2021). A Teotihuacan complex at the Classic Maya city of Tikal, Guatemala. Antiquity, 1-9. doi:10.15184/aqy.2021.140
[La Jornada maya]. (12 mai 2021). Hallan en Teotihuacan ramos de flores de hace mil 800 años. [vidéo]. Retrouvé le 30/09/2021: https://youtu.be/0e8G0ttC-iI  

Sugiyama, N., Sugiyama S., Catignani, T., Chase A.S.Z., Fernandez-Diaz J.C. (2021) Humans as geomorphic agents: Lidar detection of the past, present and future of the Teotihuacan Valley, Mexico. PLoS ONE, 16(9): e0257550. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0257550

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Huey tlamatini Miguel León-Portilla

In cuicapicqui Ninonpehua, nihuelncuica ompa ye huitz Tollanitic,  nihuelicuica, otozcuepo, motoma xochitl Huel xiccaqui ye mocuic: cuicaichtequini ¿quen ticcuiz, noyol? Timotolinia yuhquin tlacuilolli huel titlani, huel xontlapalaqui at ahihuetzian timotolinia (León-Portilla, 2012, 148-159) On n'espérait pas entendre cette annonce dans les journaux télévisés mexicains, sur les réseaux sociaux, les pages de centres de recherches. Voilà plusieurs mois que Miguel León-Portilla était hospitalisé pour des soucis bronchopulmonaires et semblait se récupérer lentement, comme l'indiquait son épouse Ascención Hernández en mai dernier au quotidien Milenio . Finalement, le chercheur mexicain probablement le plus récompensé jusqu'à présent n'a pas résisté plus longtemps. Lire son CV sur le site de l'Instituto de Investigaciones Históricas vous permettra de vous faire une idée de son importance pour les sciences mexicaines. Réduir...

Inauguration de l'exposition Insignias de los dioses. La madera en el Templo Mayor de Tenochtitlan

En 1958, un maçon visita l'ancien Musée national de la ville de Mexico pour faire don d'un masque préhispanique en bois qu'il avait trouvé lors d'un chantier dans le quartier de La Merced. Cependant, en retirant l'argile qui le recouvrait, le masque se brisa en deux et se désintégra complètement en raison de la perte d'humidité. Cette anecdote a été mentionnée par le directeur du Projet Templo Mayor (PTM), Leonardo López Luján, lors de l'inauguration de l'exposition "Insignias de los dioses. La madera en el Templo Mayor". Inauguration de l'exposition Insignias de los Dioses. Photo : Luis Gerardo Peña Torres, INAH. L'exposition temporaire a lieu au Musée du Templo Mayor à Mexico. Elle présente 145 pièces archéologiques qui illustrent les avancées de la conservation en ce qui concerne le bois d'origine archéologique. En 2008, la restauratrice Alejandra Alonso Olvera a introduit une technique japonaise consistant à remplacer progressiv...
Au cœur de la zone archéologique de Tulum, dans l'État de Quintana Roo, une équipe de chercheurs de l'Institut national d'anthropologie et d'histoire (INAH) a fait une découverte extraordinaire. Alors qu'ils travaillaient dans le cadre du Programme de Mejoramiento de Zona Arqueológicas (Promeza) sur des sondages préalables à un nouveau sentier pour les visiteurs, une entrée de grotte cachée derrière un rocher a été mise au jour.  Enterrements 6 et 9. Photo : Proyecto de investigación Promeza, Tulum / Jerónimo Aviles Olguin. La découverte de cette grotte, située à l'intérieur de la zone fortifiée de Tulum, a été le point de départ d'une exploration qui a révélé des éléments remarquables. Lors des travaux de dégagement pour aménager un nouveau sentier entre les bâtiments 21 et 25, l'équipe a identifié une entrée scellée par un énorme rocher. En retirant ce dernier, ils ont révélé l'entrée d'une cavité jusqu'alors inconnue. À l'intérieu...