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Compte-rendu Arqueología mexicana 138

Si vous vous promenez au Mexique, notamment dans le centre et le sud du pays, il vous sera difficile d’échapper à ceci.

Fig. 1. Alegrías en amarante.
Les alegrías sont un élément fondamental de la confiserie populaire mexicaine. Comme de nombreux aspects de la gastronomie de ce pays résultats syncrétisme culinaire européen et natif. En l'occurrence elles sont préparées à base d'amarante. Cette plante fait partie du régime alimentaire des habitants de cette partie du monde depuis des millénaires, au même titre que le maïs.

Par le passé, nous avons pu lire plusieurs hors-séries sur les plantes que le Mexique précolombien a offert au reste du monde : le maïs (HS 38), les courges, tomates et haricots (HS 36) , les piments (HS 32) ou encore le cacao (HS 45). L’amarante faisait partie des oublis justement et brillamment corrigé au moyen de ce nouveau numéro d’Arqueología mexicana.


Comme d’habitude, il s’agit d’une approche pluridisciplinaire à laquelle il nous est proposé d’assister. Ana María Velasco, chercheuse à la Direction d’Ethnologie et d’Anthropologie Sociale de l’INAH, et Samuel Villela, coordinateur du Projet “Montaña de Guerrero, ont coordonné ce dossier qui mêlent (paléo)-ethnobotanique, archéologie, ethnographie et histoire des religions.

Emily McClung de Tapia revient sur les traces archéologiques de cette petite graine qui “définit la tradition depuis très tôt la tradition alimentaire mésoaméricaine”. Méme s’il reste encore difficile à déterminer si l’amaranthe a été domestiquée, les plus anciennes traces en contexte archéologique remontent vers 5400 ans avant notre ère et furent observées dans une grotte près de Tehuacan, Puebla. C’est près de ce même village que furent découverts les plus anciens grains de maïs. Les objectifs de la responsable du Laboratoire de Paléobotanique.

Fig. 2. Amaranthus hypocondriacus L.

Amaranthus hypocondriacus L. ou amarante paniculée est certainement l’espèce la plus intéressante puisque ses feuilles et ses graines sont comestibles. C’est notamment pour cette raison qu’elle était à la fois utilisé pour les repas quotidiens et pour les repas rituels. Ana María Velasco revient notamment sur la confusion, commise depuis l’époque préhispanique entre l’amarante, la chia et le hauhzontle, ce dernier étant plus un lointain de la quinoa andine. La confusion fut renforcée par le conquérant espagnol qui voyait dans ses plantes des parents des bettes. Velasco nous propose au final un long et riche parcours des sources coloniales sur les us et coutumes culinaires des peuples originaires en ce qui concerne l’amarante et les plantes qui lui ressemblaient. Elle termine son article en rappelant l’usage de l’amarante préparée comme tzoalli pour élaborer des images divines qui étaient consommée rituellement, notamment lors des vingtaines de toxcatl, tlacaxipehualiztli et panquetzaliztli.

L’article suivant est le fait de deux biologistes du Jardin botanique de l’Université Nationale Autonome du Mexique : Cristina Mapes Sánchez et Francisco Basurto Peña.  ils résument leurs travaux sur les quintoniles. Il s’agit en fait des feuilles d’Amaranthus hypocondriacus L., appelés quintoniles dans le Nord de l’état de Puebla. Ils détaillent notamment les propriétés alimentaires de la plante ainsi que ses modes de culture, d’entretien et de récolte.

Les anthropologues Gabriela Uruñuela et Patricia Plunket ont choisi de porter leur attention sur l’élaboration de montagnes en tzoalli retrouvées lors de fouilles sur le site de Tetimpa, daté entre 800 avant notre ère et le Ier siècle de notre ère suite à une éruption volcanique. Pour les universitaires de Cholula, il s’agit de représentations du volcan Popocatepetl dans la mesure où le cratère du volcan est représenté. Dans certains cas, le cratère était couvert par une image de serpent. Elles appuient leur hypothèse en mentionnant les rituels des vingtaines de tepeilhuitl (féte des montagnes) et d’atemoztli (chute des eaux).

Fig. 3. Maquette-montagne, Tetimpa, Puebla.
Crédit photo: Patricia Plunket Nagoda / Raíces.

De son côté Samuel Villela s’est intéressé à l’usage moderne du tzoalli par des groupes nahuas du Guerrero. Ayant quitté  la Vallée de Mexico il y a plusieurs siècles, les nahuas de Tlalpa ont continué à élaborer des tamales en mélangeant de l’amarante et du maïs grillé. Chose encore plus remarquable qui démontre la formidable résilience des cultures autochtones, le tzoalli peut prendre la forme de serpents enroulés ou de petites images divines, ixiptla en nahuatl, des tepcitoton. Ces derniers sont présentés dans les sources coloniales comme les aides de Tlaloc. Dans un autre cas, une version moderne du couple primordiale est associé à un tamal en forme de serpent appelé cosemálotl : à l’instar d’autres groupes autochtones comme les Coras de San Blás, le serpent est associé à l’arc-en-ciel et aux trombes d’eau. D’autres tamales représentent les animaux qui menacent de détruire les champs (milpa) et donc les cultures sont également présents dans un but propitiatoire.

Fig. 4. Tamal tzoalli en forme de serpent.
Crédit photo : Samuel Villela / Raíces.

Aurora Montúfar, spécialiste en archéobotanique et collaboratrice du Musée du Grand Temple, nous présente les résultats d’analyses effectués sur différents échantillons d’amarante retrouvée dans deux offrandes du Templo Mayor (000x de l’Édifice des Aigles et 102 dans la Maison des Arajacas), puis quatre autres retrouvés sous la place Manuel Gamio (120, 126,141 et 166). Toutes ses offrandes avaient été déposées face aux marches de la Grande Pyramide double, entre les deux escaliers, de telle manière que Tlaloc et Huitzilopochtli furent les bénéficiaires communs de ces dépôts. Dans les jarres Tlaloc, l’amarante était accompagnée de graines de chia du Colima, d’épazote, de courges et de copal. L’auteur rappelle que des jarres comportant les traits caractéristiques de Tlaloc sont apparus sur des jarres localisées près de la Pyramide du Soleil et dans le quartier d’Oztoyahualco. Leur fabrication s’est poursuivie pendant l’Épiclassique avant d’être peintes en bleu avec des pierres vertes à Tula et à Tenochtitlan. Elles furent déposées le visage du dieu incliné vers une vaisselle bleue comme pour montrer que le liquide sacrée, l’eau  était versé sur la terre. Son article répète certains éléments proposés par Plunket et Uruñuela d’une part en ce qui concerne les fêtes de tepeilhuitl et atemoztli, par Villela d’autre part en rapportant la fabrication d’effigies en tzoalli dans l’état du Guerrero à des fins propitiatoires : lors du jour de la Sainte Croix, les habitants de Temalacatzingo se rendent au sommet du Quiautépetl pour réclamer les pluies qui aideront les prochaines semailles de maïs.

De leur côté, Luis Alberto Vargas et María de la Luz del Valle Barrocal explique la résurgence de l’amarante dans l’alimentation mexicaine moderne, après avoir souffert pendant plusieurs siècles de l’opprobre du colonisateur espagnol et du désintérêt de la part de l’industrie agro-alimentaire ensuite. Ils détaillent les différentes préparations qui sont en vogue au point d’en faire une source de protéine végétale dans d’autres parties du monde.

Eduardo Espitia, coordinateur du Réseau Amarante au secrétariat mexicain à l’agriculture, revient sur les différentes variétés d’amarante cultivée mais aussi sur les régions et les systèmes de production de cette graine. Cependant les données fournies, notamment les écosystèmes, l’altitude et la température idéale pour la culture de l’amarante, ainsi que la carte de la distribution au Mexique, sont des éléments qui complètent notamment les articles de Velasco, Mapas Sánchez et Basurto Peña. Espitia détaille aussi les effets biochimiques de la consommation d’amarante sur l’organisme.

Si vous parcourez le reste de ce numéro, vous pourrez également lire un passionnant article sur les traditions métallurgiques observées dans les objets retrouvés dans le cenote sacré de Chichen Itza. Rédigé par Edith Ortiz, Bryan Cockrell et José Luis Ruvalcaba Sil, leur article est le résultat d’analyses non-invasives de  cent quarante-huit objets sur les quatre cent quatre-vingt-quatorze conservés au Peabody Museum d’Harvard, au Palacio Canton  de Mérida et au Musée national d’anthropologie à Mexico. L’idée était notamment de déterminer l’origine géographique liée à l’élaboration de ces objets métalliques autant que les techniques qui semblent avoir été employées. Ces dernières peuvent être alors comparées à des objets semblables découverts dans des contextes archéologiques lointains. Le groupe de chercheurs a déterminé six catégories d’objets : les clochettes en cuivre, en alliage de cuivre ou en tumbaga, un alliage de cuivre, d’or et éventuellement d’argent; des pincettes en forme de spirale en zinc quand celles des P’urépechas du Michocan étaient en cuivre, des hachettes en cuivre, originaire de l’occident du Mexique et utilisées comme monnaie ; des figurines anthropomorphes, zoomorphes ou indéfinies dont la technique d’élaboration est originaires du Costa Rica ou de la Colombie actuels ; six sandales à base cuivrée et recouvertes d’une fiche couche d’or et/ou d’argent ; des perles en tumbaga semblables à certains retrouvés en Oaxaca et d’autres tubulaires réalisés au moyen d’une technique proche  à celle utilisée à Conte au Panama. Pour les auteurs, il ne fait aucun doute que le Grand Cenote servit durant une longue période et que cet endroit avait une signification particulière qui allait bien au-delà de la zone maya ou même de la Mésoamérique.

Fig. 5. Cascabel en cuivre, Chichen Itza.
Crédit photo: INAH.
Disponible le 20/03/2016 : http://goo.gl/NXAk51.
On compte deux articles sur l’histoire de l’archéologie mexicaine dans ce numéro. Le premier est le résultat d’un travail de bibliothèque et d’archives effectuées par Eric Taladoire qu’on ne présente plus sur ce carnet et de María Haydeé García Bravo. Leur long papier s’intéresse à commission scientifique français au Mexique. Mise en place lors de l’intervention colonialiste de la France alors dirigée par Napoléon, cette commission composé de militaires, de scientifiques ou les deux à la fois fut désignée dans le but de faire un état des lieux précis des différences ressources et infrastructures. Avec l’abandon du Mexique par les troupes françaises puis l’abdication de Napoléon, peu de rapports dressés furent exceptionnellement publiés, la majorité restant conservée dans des archives militaires. Ces rapports étaient accompagnés de différents objets qui furent soustraits illégalement du Mexique et qu’on peut encore voir dans certains musées français. Les auteurs incluent les restes humains qui furent étudiés selon les critères de l’anthropologie physique de l’époque : les ossements appartenaient à des individus originaires de différents régions du Mexique. L’article s’achève temporairement sur la figure centrale du colonel Doutrelaine, délégué de la Commission scientifique, littéraire et artistique du Mexique.

Le second est en fait la rubrique habituelle d’Eduardo Matos Moctezuma. Le fondateur du Projet Templo Mayor nous propose une réflexion somme toute nécessaire sur l’archéologie comme concept. Il s’intéresse surtout à la manière dont Manuel Gamio, disciple et sucessseur à la tête de l’archéologie mexicaine concevait sa discipline il y a tout juste cent ans avec la publication de son très nationaliste ouvrage, Forjando patria.

Dans sa chronique des documents préhispaniques et coloniaux, Xavier Noguez s’est intéressée cette fois-ci au Codex de Xiquipilco-Temoaya. Il présente l’avantage d’une date de présentation, 1539 et est originaire d’un petit village de langue otomí situé actuellement dans l’État de Mexico. Ce document est en effet un relevé des tributs que payaient les habitants à leur cacique local.

Nous ne nous attarderons pas sur l’article de l’ancienne présidente du Conseil National d’Archéologie, Nelly Robles. Son papier sur le site cambodgien d’Angkor est purement informatif et n’a que peu à voir avec l’archéologie mexicaine ni des recherches en cours ou récemment achevées.

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