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Réflexions sur la découverte d'un temple possiblement dédié à Xipe Totec à Tehuacan, Puebla

Un bulletin publié il y a peu sur le site de l'INAH s'est propagé rapidement sur les plateformes des médias de masse internationaux. BBC, Le Figaro, France info, etc. Tous ont publié un article, plus ou moins complet sur LA découverte mexicaine de ce début. Il faut dire que cette annonce fait du bien, sachant que le Secrétariat à la Culture connaîtra de nouvelles coupes budgétaires cette année, comme c'est le cas depuis de nombreuses années, sans qu'importe la couleur politique du gouvernement en place.

Nous avions déjà de spectaculaires découvertes à Tehuacan, notamment pour la découverte d'une magnifique tête de Xiuhcoatl (Serpent de feu) retrouvée dans une phase de construction de la pyramide (Raíces 268, 2016) ou de cette sculpture monumentale de Coatlicue adossée au pied de la même pyramide (Présentation du Temple, 2013).


Coatlicue, Museo de sitio de Tehuacan Viejo.
Photo : Secretaria de Cultura.


Dans la section "Petits rappels", le Projet Sur del Estado de Puebla Área Central Popoloca est dirigé par l'archéologue Noemi Castillo, chercheuse émérite de l'INAH (fig.1).


Noemi Castillo Tejero, directrice du Projet Sur del Estado de Puebla Área Central Popoloca
Photo: Melitón Tapia, INAH
La vallée de Tehuacan-Cuicatlán a justement été classé au Patrimoine de l'UNESCO l'année dernière, d'une part pour abriter le plus ancien réseau d'irrigation mésoaméricain, d'autre part pour son écosystème unique où abondent les espèces de cactus, notamment les candélabres. 

Paysage Tehuacan © CHAC

La zone archéologique de Ndachjian–Tehuacán, ouverte partiellement au public, aurait été édifiée par la culture popoloca qui existe toujours aujourd'hui, rejointe par des Mixtèques et des Mazatèques. L'ancienne Tehuacan a une superficie de 126 ha dont 10 % ont été scrupuleusement fouillés et restaurés.

Lors des fouilles réalisées en 2011, Ramón López Valenzuela avait également indiqué la présence d'une petite structure à niches dans lesquels avaient été déposés des ossements humains. Sur la partie supérieure de la Structure 1 de l'Ensemble III, des crânes humains, deux en céramique appelé xantiles, une en pierre, avaient été placés. Il semblerait plausible que cet endroit ait servi de lieu de culte à Mictlantecuhtli, le seigneur de l'inframonde.


Xantil, Museo de sitio de Tehuacan Viejo, Puebla, cultura popoluca.
Photo : Melitón Tapia / INAH / Raíces.
Dans la zone palatiale toute proche des figurines anthropomorphes en céramique, représentant des divinités comme Quetzalcoatl et un certain Xipe Totec, "Notre Seigneur l'Écorché", avaient également été exhumées. 

Les nouvelles données proposées par le bulletin de l'INAH améliorent et renforcent nos connaissances des dynamiques rituelles à Ndachjian–Tehuacán. Les travaux entrepris consistaient à "restituer le mur Nord qui ceint la Place A du Grand Ensemble" puis  à fouiller des monticules une structure située à l'ouest de l'Ensemble Central aux dimensions respectables : 12 m de longeur, 3,5 m de hauteur.


Zona Arqueológica de Ndachjian–Tehuacán.
Photo: Melitón Tapia, INAH.
Les archéologues Luis Alberto Guerrero Jordán, Gustavo Coronel Sánchez et l'anthropologue physique Maritza Ángeles Sánchez décrivent dans le bulletin de l'INAH les différentes étapes de la fouille. En effectuant des puits de sondage sur l'esplanade qui devancent la structure, ils sont tombés sur le premier crâne monumental. Ils ont alors patiemment remonté le mur vers le nord et ont libéré un cube recouvert de stuc peint en rouge. Ce dernier se révélait être en fait l'accès à l'escalier qui montait vers la base pyramidal d'un temple.  C'est là qu'est apparu le second crâne : chacun, sculpté dans une pierre volcanique, mesure 70 cm de diamètre pour un poids de 200 kgs !


Crânes sculptés, pierre volcanique, culture popoluca, Ndachjian–Tehuacán. 
Photo: Melitón Tapia, INAH.

La sculpture représentant Xipe Totec est fragmentaire : acéphale, ses membres inférieurs et le bras droit sont amputés Fort heureusement deux éléments iconographiques permettent une identification rapide de la divinité associé au maïs : de son bras gauche pend une main tandis que dans son dos et sur le torse on peut voir les cordelettes qui maintiennent la peau de la victime écorchée, conformément à ce que décrivait Duran dans son Livre des rites (1984: 97). On note immédiatement un jupon de plumes disposé autour de sa taille qui laissent apparaître des testicules. Sur le ventre, une cavité laisse penser qu'elle peut avoir été occupé par une pierre verte. Cet aspect fragmentaire de la sculpture n'est pas surprenant. Les anciens peuples mésoaméricains avaient l'habitude de les "tuer" en les brisant rituellement puis en les enterrant. L'équipe de Noemi Castillo n'exclut donc pas de retrouver à terme les éléments manquants de cette sculpture qui mesure 80 cm de long pour l'instant.


Crâne et sculpture de Xipe Totec vue de dos.
Photo : Melitón Tapia / INAH.



Crâne et sculpture de Xipe Totec, pierre volcanique,
Photo : Melitón Tapia / INAH.


Xipe Totec, Codex Borgia, pl. 61.
Photo : Wikipedia.


Les rituels ayant lieu pendant la vingtaine de tlacaxipehualitztli sont bien documentés par les chroniqueurs castillans comme le frère dominicain Durán (1984: I, 97-102; II, 173-175) ou le franciscain Sahagún . Elles ont également fort bien analysées et étudiées (Graulich, 2005 : 117-119 ; González González, 2011 ; González Torres, 2006 : 261-271). Il s'agit de rituels de caractère agricole, notamment pour la récolte du maïs. Si on se fie à la description de Durán, elle présente de nombreux points communs avec ce que l'équipe de Castillo a exhumé. 

Sur la base pyramidale de Tehuacan qui nous intéresse, deux autels circulaires ont été détectés sur l'esplanade évoquée plus haut : le premier mesurait 3,18 m de diamètre et 0,78 m de hauteur, le second possédait des dimensions similaires, 3,02 m de diamètre et 0,88 m de hauteur. Tous les deux couvraient une cavité dans le sol. De telles cavités, selon une illustration du Codex de Florence (II, pl. IX et X cité par González Torres, 2006: 262-264), servaient à déposer les peaux humains que les prêtres avaient portées plusieurs jours durant. Or c'est au fond des cavités que se trouvait chaque crâne sculpté. Crânes et autels appartenaient donc à une phase antérieure de construction, probablement un temple dédié à Xipe Totec, située entre 1260 et 1456 de notre ère. Cette époque correspond justement à l'acmé des cités popolucas dans la région.

Ce genre de matériel monumental est souvent la partie émergée de l'iceberg : de nombreux matériels lithiques ou céramiques ont évidemment été mis au jour. De nombreuses analyses permettront de déterminer les techniques d'élaboration de ces matériels, ainsi que leur origine géologique, proportionnant de nouvelles données qui compléteront un puzzle encore long à reconstituer.

Coïncidence (ou pas), la revue de divulgation Arqueología mexicana vient de sortir un numéro justement sur Tehuacan. Il est disponible en format électronique depuis l'application correspondante.



Malheureusement aucun article sur le site de Tehuacan El Viejo n'a été inclus. Nous vous invitons donc à regarder ce petit reportage diffusé sur la chaîne INAHTV.




Bibliographie
Découverte d'un temple sacrificiel au Mexique, le premier connu dédié au «seigneur des écorchés». (4 février 2019). Le Figaro. Retrouvé sur http://www.lefigaro.fr

Découverte du premier temple au Mexique dédié à Xipe Totec, dieu aztèque célébré par des sacrifices humains. (4 février 2019). Culturebox. Retrouvé sur https://culturebox.francetvinfo.fr/patrimoine/decouverte-du-premier-temple-au-mexique-dedie-au-dieu-azteque-xipe-totec-283963

Descubren el primer templo dedicado a Xipe Tótec en la Zona Arqueológica de Ndachjian–Tehuacán. (3 février 2019). Instituto nacional de antropología e Historia. [en ligne] URL: https://www.inah.gob.mx/boletines/7883-descubren-el-primer-templo-dedicado-a-xipe-totec-en-la-zona-arqueologica-de-ndachjian-tehuacan

Durán, D. (1984). Historia de las Indias de Nueva España e Islas de la Tierra firme. México: Editorial Porrúa.

González González, C.J. (2011).  Xipe Tótec. Guerra y regeneración del maíz en la religión mexica. México: Instituto Nacional de Antropología e Historia; Fondo de Cultura Económica.

González Torres, Y. (2014). El sacrificio humano entre los mexicas. Mexico, D.F. : Fondo de cultura económica.

Graulich, M. (2005). Le sacrifice humain chez les Aztèques. Paris : Fayard.

Pre-Aztec 'Flayed god' temple uncovered in Mexico (3 février 2019). BBC News. Retrouvé sur https://www.bbc.com/

Présentation du Temple des Crânes à Tehuacan, Puebla. (21 novembre 2013). [billet de carnet]. Retrouvé sur https://mexiqueancien.blogspot.com/2013/11/presentation-du-temple-des-cranes.html

Raíces 268 - Excavaciones en Tehuacan Viejo, Puebla con Martín Domínguez Nuñez. (14 août 2016). [billet de carnet]. Retrouvé sur https://mexiqueancien.blogspot.com/2016/08/raices-268-excavaciones-en-tehuacan.html

Sahagún, B. de. (). Historia general de las cosas de Nueva España. México, D.F.: CONACULTA.

[Article mis à jour le 04/02/2019]

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