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Annonces de nouvelles découvertes dans les quartiers périphériques de Teotihuacan

La semaine dernière, les teotihuacanistes ont été au cœur d'un étrange ballet médiatique. Sans qu'on en sache trop, c'est d'abord un reportage publié sur la chaîne mexicaine ForoTV qui a attiré l'attention. On y apprend qu'une équipe dirigée par l'archéologue Veronica Ortega a mis au jour plusieurs tombes dans le quartier oaxacain de Tlailotlacan. 

L'une d'entre elles renfermaient les restes d'une femme âgée d'une quarantaine comportant de nombreuses modifications physiques. Les études d'anthropologie physique effectuées par Jorge Archer Velasco ont révélé qu'en plus d'une déformation crânienne tabulaire oblique, les deux incisives supérieures de cette femme ont été travaillées aux moyens d'instruments perforateurs et abrasifs pour pouvoir y incruster des éclats de pyrite.

La deuxième découverte concerne d'autres fouilles effectuées au sud de la zone archéologique, c'est le quotidien mexicain La Crónica qui en fait état dans un article publié en ligne le 20 juillet dernier. Tlajinga fait l'objet de fouilles systématiques dans le cadre du Proyecto arqueológico Tlajinga Teotihuacan, financé par la Boston University. Il est co-dirigé par David Carballo, chercheur de cette université, et Luis Barba, enseignant-chercheur à l'UNAM. En fait le projet publie régulièrement ses rapports. Font partie du projet Kenneth Hirth, Emily McClunf, Agustín Ortiz, Jorge Blancas, etc. Le titre proposé par la Crónica est trompeur dans la mesure où le site a été exploré par Millon, Rattray et surtout par Spence à la fin des années 1980. 

Essayons de contextualiser Tlajinga, il s'agit d'un quartier situé à l'extrémité sud du Miccaotli, la Chaussée des morts, et s'étend sur 1 km². L'ensemble compte entre quatre-vingts et quatre-vingt dix unités domestiques dont deux, les unités 17 et 18, font l'objet de fouilles approfondies de la part de l'équipe de Carballo depuis 2013.




Situation géographique du quartier de Tlajinga, Teotihuacan.
Crédit photo: INAH/Proyecto arqueológico Tlajinga, Boston University.
Disponible le 26/07/2015: 
http://sites.bu.edu/patt/files/2014/06/Tlajinga_Teo_map_550.png .

Les premières traces d'occupation à Tlajinga remonteraient vers le début du IIIe siècle de notre ère et s'étendraient jusqu'à un abandon massif de Teotihuacan vers la seconde moitié du VIe siècle. Tlajinga présente plusieurs intérêts pour les archéologues et les teotihuacanistes.

Le choix des unités 17 et 18 n'est pas innocent. Tous deux présentent des dimensions hors norme. Les unités domestiques teotihuacaines mesure en moyenne 55 m de longueur sur 35 m de largeur. Selon Carballo, l'unité 17 mesure au moins le double et l'unité 18 atteindrait au moins 80 m de longueur. Toutes deux sont donnent directement sur le côté ouest de la Chaussée des morts.

Les explorations préliminaires en 2013 avaient permis de détecter une grande quantité d'obsidienne: sur à peine 20 m², ce ne sont pas moins de 415 kgs qui sont apparus. Kenneth Hirth est un spécialiste reconnu de l'obsidienne : il est en charge d'étudier les plus de 400000 objets récupérés ! En fait, on dispose de toutes les étapes de la taille, allant des noyaux complets aux éclats résiduels.

Une grande majorité de peuples mésoaméricains n'utilisèrent pas la métallurgie avant le Postclassique ancien. L'obsidienne est une roche volcanique vitreuse dont les couleurs peuvent varier du vert au noir. Bien taillée, elle permettait d'élaborer des objets tranchants ou contondants, au fil si précis qu'il est utilisé parfois en chirurgie.  Cet aspect est dû à un refroidissement de la lave. Il en existait un grand gisement à quelques encablures de Teotihuacan. Il est même probable qu'elle en contrôlait l'extraction. Le chercheur de Penn State a développé différents modèles d'exploitation et de diffusion de l'obsidienne, notamment sur le Haut plateau central.

Un des autres éléments intéressants de Tlajinga est la présence très marquée de la céramique. Selon Daniela Hernández, céramologue de la Boston University, les tessons retrouvés indique une grande variété
  • de formes et de couleurs qui permettent de déduire la chronologie du quartier
  • d'usage : il s'agit de céramiques d'usage 
    • domestique pour la préparation et la consommation des aliments,  
    • rituel pour différentes offrandes (en particulier funéraires), probablement comme cette vaisselle tripode, stuquée et peinte de chalchiuhuites a été mise au jour découverte lors de la première campagne en 2013.
    • communautaire pour le stockage des vivres, comme ces grandes amphores de type Anarajando San Martin, retrouvée lors de la campagne 2014.
Hernández cite en outre l'exemple de deux plats (l'un d'entre eux incomplet) de pâte obscure avec un glyphe incisé et appelé nuage par l'équipe.  

Jusqu'à présent peu d'enterrements ont été découverts. Tous avaient été effectués sous les sols des logements, coutume traditionnelle en Mésoamérique. Des études chimiques et antropophysiques sont actuellement en cours afin de déterminer l'origine de ces personnes, de comprendre leur régime alimentaire et de mettre en lumière d'éventuels problèmes de santé. Les dates radiocarbone semblent corroborer une occupation entre 200 et 550 de notre ère, même si un exemple semble être postérieur, vers 800.

La Chaussée des Morts qui traverse Tlajinga a peu de chose à voir avec celle que le touriste peut parcourir plus au nord. Ici pas de murs élaborés ou de temples mais une couche de sédiments déposés à même la roche volcanique creusée sur 200 m de longueur et 1,4 m de profondeur. Des prélèvements sont actuellement en cours d'analyse à l'Université de Tübigen, sous la responsabilité de Mareike Stahlschmidt.

Le projet dirigé par Carballo met clairement en évidence la vie d'un quartier probablement parmi les plus pauvres de l'ancienne métropole mais dont la production artisanale était importante pour le reste de la cité. La saison de fouilles 2015 livrera probablement de nouvelles informations pour comprendre la vie quotidienne de ce quartier et son interaction avec le reste de la ville.

Références bibliographiques
Archer Velasco, J. (2012). Prácticas funerarias y condiciones de vida en el Barrio oaxaqueño de la ciudad prehispánica de Teotihuacan. Mémoire de licence, Mexico: Escuela Nacional de Antropología e Historia. Fac-similé disponible en ligne le 26/07/2015 : https://www.academia.edu/1598720/Pr%C3%A1cticas_Funerarias_y_condiciones_de_vida_en_el_Barrio_Oaxaque%C3%B1o_de_la_Ciudad_Prehisp%C3%A1nica_de_Teotihuacan.

Archer Velasco, J. (2015). Gente de Nubes y caminos lejanos. Presencia foránea en Teotihuacan, la movilidad poblacional de Tlailotlacan, en el periodo Clásico Mesoamericano. Mémoire de maîtrise. Mexico: Escuela Nacional de Antropología e Historia. Fac-similé disponible en ligne le 26/07/2015: https://www.academia.edu/12750876/Gente_de_Nubes_y_caminos_lejanos._Presencia_for%C3%A1nea_en_Teotihuacan_la_movilidad_poblacional_de_Tlailotlacan_en_el_periodo_Cl%C3%A1sico_Mesoamericano._Tesis_de_Maestria.

Carballo, D. (2011). Advances in the Household Archaeology of Highland Mesoamerica. Journal of Archaeological Research 19: 133-189.

Carballo, D. (2013). The Social Organization of Craft Production and Interregional Exchange at Teotihuacan. In Merchants, Markets, and Exchange in the Pre-Columbian World, K. G. Hirth y J. Pillsbury (éds), pp. 113-140. Dumbarton Oaks and Trustees for Harvard University, Washington, D.C.

De León, J., Hirth, K. et Carballo, D. (2009). Exploring formative period obsidian blade trade: three distribution models. Ancient Mesoamerica, 20, pp 113-128. doi:10.1017/S0956536109000091.

Hirth, K. et Andrews, B. (éds.) (2002). Pathways to Prismatic Blades: A Study in Mesoamerican Obsidian Core-Blade Technology. Los Angeles: The Cotsen Institute of Archaeology Press.

Hirth, K. (éd.) (2006). Obsidian Craft Production in Ancient Central Mexico. Salt Lake City: University of Utah Press.

Levine, M. et Carballo, D. (éds.). (2014). Obsidian Reflections: Symbolic Dimensions of Obsidian in Mesoamerica. Boulder: University Press of Colorado.

Rattray, E. (1988). "Un taller de cerámica Anaranjado San Martín de Teotihuacan", en Noguera, E. y Serra-Puche, M.C. (éds.), Ensayos de alfarería prehispánica e histórica de Mesoamérica, Mexico: Universidad Nacional Autónoma de México; Instituto de Investigaciones Antropológicas.


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