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Sur la viralisation de la fausse découverte d'une nouvelle ville maya par un adolescent québécois


Depuis quelques jours, les réseaux sociaux et les médias traditionnels semblent fascinés par un adolescent qui aurait réussi à damer le pion aux meilleurs archéologues mayistes. Si la valeur n’attend pas le nombre des années, nul doute que les découvertes clés de David Stuart en ce qui concernent l’épigraphie maya auraient alors fait un tabac dans les années 1980 si les réseaux sociaux avaient alors existé. À l’âge de William Gadoury, ce jeune québécois mis d'ores et déjà au rang de génie, j’étais également fasciné par les civilisations précolombiennes, celles du Mexique en particulier. La passion est bien la base pour avancer et réaliser ses rêves et nous lui souhaitons en ce sens tout le bonheur du monde.
C'est un article publié dans le Journal de Montréal qui a mis le feu au poudre, relayé depuis par le service information de France Télévisions et un article d'Alicia Paulet dans Le Figaro, RFI en espagnol, la BBC, etc. On remarquera que dans l'article de FT apparaît une photo très floue d'Uxmal et que Mme. Paulet n 'a rien trouvé de mieux que d'illustrer son papier avec une photo de Calakmul alors que la ville "découverte" n'a même pas encore été explorée. Cela vous en dit déjà sur la manière de traiter l'information, à l'encontre même de la Charte de Münich.

KEEP CALM AND CALL INDIANA JONES


Dès lors, une petite mise au point s’impose tant sur la forme que sur le fond de cette nouvelle révolutionnaire. Sous réserve de lire la publication de ce jeune homme, on peut relever plusieurs incohérences dans sa proposition et le traitement journalistique de cette information. Commençons par le second point : l’auteur de l’article, Michel Harnois, s’est contenté de corroborer le travail de notre apprenti mayiste en interviewant des membres de l’Agence spatiale canadienne. Aucun commentaire ou contre-point ne vient d’archéologue ou de mayiste qui existe pourtant au Canada et notamment à l’Université de Calgary. Il est encore plus regrettable que le journaliste ne nous propose pas de carte complète des principaux sites mayas. Calakmul, ancienne capitale du royaume K’an situé dans la biosphère homonyme, est totalement snobée. Copan au Honduras et sa Rosalila sont ignorées, tout comme Bonampak. Les grands sites des Hauts du Chiapas, qui résistèrent aux Espagnols comme , absents, des sites très anciens comme Tak’alik Ab’aj, Chiapa de Corzo, ou Pourtant ces deux sites sont classés au Patrimoine mondial de l’humanité et sont reconnus par la communauté mayiste pour leur grande importance politique et symbolique. Qu’en est-il de leur présence dans la proposition de Gadoury ? Les a-t-il prises en compte ? Plus encore regrettable est le comportement "perroquet" des autres médias de communication, incapable de remettre un tant soit peu en cause la version de notre jeune "prodige" et d'aller chercher des opinions expertes sur cette découverte. Après la malbouffe, la malscience.



Passons au fond de la chose en rappelant qu’il y a bien plus que 118 sites mayas répartis entre tous les pays sus-mentionnés. Les premières communautés de tradition maya remontent vers 1200 ans avant notre ère et Mayapan, dernier grand royaume de la péninsule, fut abandonné quelques décennies avant l’arrivée des Espagnols. Nous parlons donc de milliers de sites qui ont connu différentes phases d’occupation, agrandissement et abandons pendant 2500 ans ! Dès lors comment planifier et accomplir un tel plan de fondations de cités sur plus de 1500 ans à partir d’un document probablement peint dans les Basses terres mayas du nord du Yucatan, comme le Codex de Dresde, pendant le Postclassique récent ? Son contenu est avant tout ésotérique et fait allusion à des activités rituelles comme l’autosacrifice que quotidiennes comme le tissage, l’apiculture, la chasse et la guerre. Ajoutons que les Mayas n'ont jamais eu, à la différence de leurs lointains cousins mexicas, un pouvoir centralisé qui permette la mise en place d'une telle politique de fondation de cités. Des archéoastronomes comme Anthony Aveni ou Jesus Galindo Trejo ont bien démontré l'existence de programmes architecturaux régis par les étoiles mais ils concernaient rarement une cité entière et prenaient volontiers comme point de repère le Soleil, la Lune, Vénus, éventuellement Mars ou les Pléiades.

Quand Gadoury justifie son choix de prendre en compte les étoiles, il fait fi des tables vénusiennes et martiennes relevés dans le Codex de Dresde. Mais il omet un point crucial correctement soulevé par le Dr. Nikolai Grube, archéologue. co-directeur du Proyecto Uxul et professeur à l'Université de Bonn : le Codex de Madrid ne fait pas référence à des constellations. Il en est plus question dans le Codex de Paris. Pourquoi les Mayas n’auraient-ils pas dès lors construit toutes leurs villes en fonction des astres que nous avons mentionnés ? Pourquoi et comment affirmer que 142 étoiles correspondent à 117 sites importants ? Sur quels critères déterminent-ils l’importance d’une ville maya ? Est-il conscient que le ciel des scribes du Postclassique est différent de leurs ancêtres du Formatif ou Classique ancien ?

Quand il affirme dans l’entretien au Journal de Montréal:
“«Je ne comprenais pas pourquoi les Mayas avaient construit leurs cités loin des rivières, sur des terres peu fertiles et dans les montagnes, a indiqué William Gadoury. Il fallait qu’il y ait une autre raison, et comme ils adoraient les étoiles, l’idée m’est venue de vérifier mon hypothèse. J’ai vraiment été surpris et excité quand je me suis rendu compte que les étoiles les plus brillantes des constellations correspondaient aux plus grandes villes mayas»,
il oublie bien vite que d’autres écosystèmes étaient en vigueur dans les fraîches montagnes ou les luxuriantes forêts de l’Usumacinta et que la fertilité. Il omet qu’au Yucatan, les rivières souterraines sont nombreuses, que les cénotes abondent et que lorsqu’ils manquent, des systèmes d’irrigation et de citernes artificielles sont construits.

L’amateurisme de notre jeune et passionné mayiste-astronome est également contredit par une autre énorme incohérence. Il prétend avoir laissé ses travaux à des archéologues mexicains pour avoir leur opinion mais K’aak Chi’ est situé au... Bélize, pays voisin. Pourquoi ne pas avoir directement l'aide des archéologues bélizains ?

Alors à quoi peut-être dûe cette singulière “découverte”? Un coup de chance? Un rigoureux travail scientifique et holistique ? Le plus grand doute s’impose face à cette information. Il est quand même étrange que les archéologues mayistes de l’Université de Calgary n’aient pas été sollicités ni mentionnés par Gadoury afin de valider son hypothèse.

Hier, David Stuart, professeur à l'Université du Texas à Austin et épigraphiste depuis son adolescence (sous la bienveillante attention de feu son archéologue de père, George Stuart et feu Linda Schele), a réagi officiellement sur son compte Facebook. 


1981
Dr. Linda Schele et David Stuart, 1981.
Crédit photo : PBS.
Disponible le 11/05/2016 : http://www.pbs.org/wgbh/nova/mayacode/time-09.html
Il nous a autorisé à traduire ses propos (2016/05/10).
"Toute cette histoire d'une ancienne ville maya découverte est fausse. J'ai essayé de l'ignorer (ainsi que les sollicitudes des médias que je reçois) mais c'est désormais au site de la BBC d'en parler et je sens que je dois dire quelque chose.
Tout ce truc est une confusion -- un terrible exemple de mauvaise science qui fait un tabac sur Internet. Les anciens Mayas n'ont pas organisé leurs anciennes villes en fonction des constellations. Y voir de tels modèles tient du test de Rorschach, étant qu'il y a des sites partout, tout comme les étoiles. L'élément carré trouvé sur Google Earth est bien dû à l'homme mais il s'agit d'un champ de maïs en jachère, une milpa."

N’est pas David Stuart qui veut. Être anthropologue ou archéoastronome ne s'improvise pas non plus. Être bon journaliste non plus. Nous vous invitons à ce titre à regarder ce moment comique mais sérieux sur le fond du Late Late Show, présenté par le comique John Oliver sur la chaîne HBO et remercions David Stuart pour nous permettre de traduire ces propos, Patrice Bonnafoux et Sylvie Peperstraete dont nous avons repris certains arguments.

Mise à jour du 11/05/2016, 18h25 (heure de Paris). L'archéologue et historien Éric Taladoire, ancien professeur à Paris I, est revenu longuement sur l'article publié par Le Journal de Montréal, en des termes peu élogieux pour les médias qui ont viralisé cette information non fondée. Dans un entretien accordé au quotidien Le Figaro, Il démonte chaque élément de la "théorie Gadoury" en rappelant les travaux entrepris par différentes équipes de chercheurs dans la région mentionnée par Gadoury, mettant en avant les erreurs géographiques que nous soulignons dans ce billet, entre autres choses.

D'autre part, O. Philippe-Viela estime qu'il y a seulement quelques doutes à avoir sur cette théorie quand bien même les propos qu'il a recueillis auprès de Dominique Michelet et d'Éric Taladoire sont sans équivoque et contrastent franchement la proposition de Gadoury et le traitement équivoque de l'information par le Journal de Montréal, journal qui tient plus du tabloïd anglais qu'à un journal de référence et encore moins à une revue scientifique modérée par des pairs. Mais que peut-on espérer de 20 minutes, un quotidien bâti autour des communiqués d'agences de presse ?

Mise à jour du 11/05/2016; 22h27: Le cas Gadoury est intéressant sur la manière dont les médias traitent l'information. Très enclins à encenser le jeune et prêts à tout pour vendre du papier et des ads, ils décident a posteriori de consulter les experts mésoaméricains pour publier des contre-articles à tout va. C'est ainsi qu'on peut lire la publication de S. Rahal sur le site de Télérama. On appréciera quand même le doute raisonnable émis dès le départ par Arrêt sur images et la manipulation grotesque de la carte présentée par le Journal de Montréal en version papier. Bref, le soufflé retombe aussi vite qu'il est monté.


Références bibliographiques
Dackevych, A. (10 mai 2016). How a 15-year-old discovered an ancient city. BBC Trending: http://www.bbc.com/news/blogs-trending-36259047.

Harnois, M. (7 mai 2016). "Un ado découvre une cité maya". Le Journal de Montréal: http://www.journaldemontreal.com/2016/05/07/un-ado-decouvre-une-cite-maya.

Jacques, A.-S. (11 mai 2016). "Cité maya : le Journal de Montréal change sa carte". Arrêt sur images.net. En ligne : http://www.arretsurimages.net/breves/2016-05-11/Cite-maya-le-Journal-de-Montreal-change-sa-carte-id19875.

Peyrach, A. (11 mai 2016). "Un expert dément la découverte d'une cité maya par un jeune québécois". (2016). Le Figaro. En ligne : http://www.lefigaro.fr/culture/2016/05/11/03004-20160511ARTFIG00180-un-expert-dement-la-decouverte-d-une-cite-maya-par-un-jeune-quebecois.php

Philippe-Viela, O. (11 mai 2016). "Une nouvelle cité maya découverte grâce aux constellations, vraiment?" . 20 minutes. En ligne: http://www.20minutes.fr/sciences/1843699-20160511-nouvelle-cite-maya-decouverte-grace-constellations-vraiment

Rahal, S. (11 mai 2016). "La pseudo-découverte d'une nouvelle cité maya : chronique d'une boulette annoncée ?". Télérama.fr. En ligne : http://www.telerama.fr/scenes/la-pseudo-decouverte-d-une-nouvelle-cite-maya-chronique-d-une-boulette-annoncee,142289.php.

RFI (10 mai 2016). "Un canadiense de 15 años descubre solo una importante ciudad maya". En ligne: http://es.rfi.fr/americas/20160509-un-canadiense-de-15-anos-descubre-solo-una-importante-ciudad-maya.

Stuart, D. (10 mai 2016). "This current news story of an ancient Maya city being discovered is false. I was trying to ignore it (and the media inquiries I've been getting) but now that it's up on the BBC's website I feel I ought to say something. The whole thing is a mess -- a terrible example of junk science hitting the internet in free-fall. The ancient Maya didn't plot their ancient cities according to constellations. Seeing such patterns is a rorschach process, since sites are everywhere, and so are stars. The square feature that was found on Google Earth is indeed man-made, but it's an old fallow cornfield, or milpa." Disponible le 10/05/2016: https://www.facebook.com/david.stuart.520?fref=ts .

Vail, Gabrielle; Aveni, Anthony (September–October 2008). "El Códice Madrid, un viejo documento revela nuevos secretos". Arqueología Mexicana (in Spanish) (Mexico City, Mexico: Editorial Raíces) XVI (93): 74–81. Archived from the original (PDF) on 2010-02-06: https://web.archive.org/web/20100206092208/http://arqueomex.com/PDFs/S8N5COD_MADRIDAveni93.pdf




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