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Mr Bricolage en terre teotihuacaine

Le titre de cette note est un rien provocateur. Néanmoins, il  y sera question de pratiques rituelles qui, pour un occidental moderne, paraîtraient immondes et intolérables. La réputation de mangeurs d'hommes colle souvent aux peuples mésoaméricains en général et aux Mexicas en particuliers. Il faut dire que les conquérants et évangélisateurs ont bien évidemment amplifié ce phénomène afin de justifier leurs propres oeuvres.

Loin de nous l'idée de débattre la légitimité du sacrifice humain et du cannibalisme qui sont deux phénomènes humains à la fois anciens et fortement répandus sur la surface du globe. Mais le quotidien El Universal propose un article en ligne très intéressant sur un autre phénomène qui peut nous paraître morbide : l'utilisation des os des défunts pour la fabrication d'outils ou d'instruments.

En fait, il s'agit des résultats de différentes menées par Abigail Meza Peñaloza, chercheuse-enseignante à l'Instituto de Investigaciones Antropológicas de la Universidad National Autonoma de Mexico. Ses travaux ont porté sur plus de cinq mille fragments osseux retrouvés lors des différentes campagnes de fouilles organisés à La Ventilla, un des quartiers de Teotihuacan, habités par des artisans originaires de l'actuel état d'Oaxaca. La Ventilla est situé au sud de la zone archéologique de Teotihuacan et son occupation remonte au Classique et plus particulièrement à la phase Tlamimilolpa (entre 250 et 330 après Jésus Christ). Le projet que Meza Peñaloza dirige est intitulé "l'industrie osseuse et le culte aux ancêtres à Teotihuacan".

Les premières constatations de Meza Peñaloza se font sur la "fraîcheur" du matériel utilisé. Car, pour confectionner des objets, il faut un matériel frais, en l'occurence ici, les os de personnes récemment décédées. De os exhumés n'assurent pas la même solidité. Les traces de coupe observées sur les objets teotihuacains tendent à confirmer ce procédé : on dépeçait à l'aide de lames d'obsidienne ou de couteaux de silex (de taille et de forme différentes, on découpait les muscles pour les séparer des os. Ensuite  on désarticulait les os. Finalement une sorte de corde servait à polir l'os et à le "vieillir" artificiellement.

D'autre part, il semblerait que les os utilisés étaient ceux d'adultes, sans distinction de sexe, qui n'avaient souffert aucune infection. En revanche on ne faisait pas cas des os des enfants, apparemment trop fragiles, et des personnes âgées qui pouvaient avoir souffert d'ostéoporose. La comparaison des traits anatomiques a permis d'établir que les os réutilisés n'appartenaient pas à un groupe ethnique extérieur dont certains représentants auraient été sacrifiés. Les traits épigénétiques comme le crâne sont proches des personnes qui avaient été inhumées sous les maisons, comme c'était la coutume chez bon nombre de peuples mésoaméricains. Il faut ajouter que la consanguinité étant une des caractéristiques dans ces groupes, le travail de comparaisons de empreintes des hémisphères cérébrales a facilité la tâche des chercheurs.

Meza Peñaloza a également annoncé des analyses d'isotope de strontium et d'oxygène pour comparer les origines des personnes enterrées traditionnel et celles dont les os ont été réutilisées. Elle espère notamment corroborer l'origine de l'eau qu'elles consommaient mais aussi voir quelle était leur mobilité et quel était leur degré d'adaptation à un environnement nouveau, notamment sur un plan diététique.

Au final, quels étaient les os les plus souvent préparés ? De manière surprenante, ce sont la voûte crânienne qui était appréciée, en particulier l'occiput et le front. Venait ensuite le fémur dont la forme de tube permettait l'élaboration d'aiguilles pour la couture ou de peigne pour les métiers à tisser. Le péroné et l'humérus étaient peu utilisés. Le cubitus et le radius, correctement travaillés, devenaient des perforateurs et des poinçons. Mais on produisait des boutons, des spatules, des pièces pour travailler les peaux ou élaborer du papier, et enfin des polisseurs pour le travail de la céramique ou des stucs.

Selon les mêmes anthropologues, l'utilisation d'os humains pour la fabrication de différents objets répond au besoin d'une matière première différente dans d'autres parties du monde. En effet, à la différence de l'Europe ou même de l'Afrique, on ne disposait de grands animaux qui auraient pu fournir la matière première nécessaire.

Enfin, selon Meza Peñaloza, l'utilisation de ces os avait aussi une fonction symbolique importante puisqu'ils permettaient aux vivants de garder un contact avec leurs ancêtres. Il convient de rappeler qu'un point commun à de nombreux peuples mésoaméricains est la coutume d'enterrer les morts sous le sol même de la maison où la famille habite. L'élaboration d'objets à partir d'ossements de proches répondrait ainsi à une logique identique.

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