Parler de sexualité d'un point de vue purement anthropologique peut paraître une gageure. Les préjugés liés à la sexualité demeurent tenaces : en témoigne la vente de ce numéro d'Arqueologia Mexicana au milieu d'autres revues de charmes dans les kiosques du DF. Parler de la sexualité en Mésoamérique avant l'arrivée des Espagnols pose naturellement la question de l'objectivité des sources espagnoles qui en parlent dans les premières années de la Conquête, surtout quand la majorité des textes dont nous disposons a été rédigée par des religieux.
Dans ce nouveau numéro d'Arqueologia Mexicana, les différents chercheurs ont tenté de remettre à plat nos connaissances sur ce sujet, en le traitant de manière objective. Il faut dire qu'il y a quelques temps, un colloque avait déjà été organisé sur le sujet. Notre vision des anciens peuples mésoaméricains est donc biaisée et remplie de préjugés.
Ce qui frappe à la lecture de ce magazine, c'est l'existence de différentes sexualités en Mésoamérique. Alfredo Lopez Austin explique bien que, selon les époques et les cultures, la sexualité a des pratiques et des significations variées. Néanmoins il établit un "trame dense de liens tissé pendant des millénaires, selon chaque tradition". Lopez Austin rappelle à juste titre que son article reste néanmoins très généralisant, car une recherche plus détaillée. Au début de son texte, l'auteur rappelle l'opposition et la complémentarité des principes mâles et femelles dans les traditions mésoaméricaines.
Ces différentes perceptions et manière de vivre la sexualité sont ensuite très clairement expliquées dans le reste des articles. L'article de Stephen Houston (récent co-inventeur de la tombe de Tortue Rouge à El Zotz) et de Karl Taube nous montre l'extrême pudeur (à quelques rares exceptions) des Mayas à représenter l'accouplement. En revanche, les représentations phalliques sont plus nombreuses et souvent associées à la captivité. Le cas des phalli sculptés est également expliqué. Les auteurs rappellent que même des jouets à caractère sexuel pour femmes ont aussi été découverts dans le Cénote des Sacrifices, à Chichen Itza.
Felix Baez-Jorge propose un article-résumé de ses travaux sur les représentations du vagin denté en Mésoamérique. L'iconographie du vagin denté est en effet observable à différents endroits et à différentes époques. Il aurait d'ailleurs été intéressant que l'auteur en fasse un critère supplémentaire à la liste établie par Kirchoff pour définir la Mésoamérique. Au delà de l'existence généralisé de cet élément iconographique, Baez-Jorge établit des rapprochements intéressants avec les mythes identifiant la femme à la terre. Les références à l'épuisement du tonalli de l'homme par la répétition de relations sexuelles sont nombreuses, notamment chez Sahagun.
Guilhem Olivier revient plus longuement sur l'homosexualité que Houston et Taube ont rapidement abordé chez les Mayas. Le chercheur français reprend différents textes de l'époque coloniale. Il détaille également la nature infamante des travestis et les lois qui condamnaient cette pratique. Mais surtout l'analyse d'Olivier met en exergue la nature ambiguë, pour ne pas dire hermaphrodite des divinités mésoaméricaines, présentant toutes des aspects masculins et féminins. Il rapporte la ferme condamnation de l'homosexualité chez les Mexicas, même s'il croit deviner une orientation sexuelle de cet ordre chez Tezcatlipoca.
Un autre élément important des mythes mésoaméricains est la transgression sexuelle. Passablement étudiée et expliquée par Michel Graulich, elle fait l'objet d'un article de la part de Miriam Lopez Hernandez et Jaime Echeverria Garcia. Or ce texte semble un écho des travaux du chercheur belge. Pour ceux qui connaissent ces travaux, il n'y aura donc pas grand chose de nouveau. Cependant il est nécessaire de bien comprendre cet élément fondateur qu'est la transgression sexuelle dans la pensée mésoaméricaine. C'est la transgression mythique qui fait apparaître l'humanité. C'est cette même faute qui rend l'homme mortel et le soumet à la volonté des dieux. L'article explique enfin judicieusement les conséquences morales et judiciaires de pratiques sexuelles illégales dans la vie quotidienne des anciens peuples mésoaméricains.
Pour terminer ce dossier, Yollotl Gonzalez Torres propose une étude plus générale sur la sexualité et la religion dans différentes cultures à travers le monde. Le travail de l'auteur peut sembler un peu éculé au regard des parties proposées : les représentations de la vulve, puis du pénis, l'importance du sperme, l'universalité de l'inceste divin, la prostitution, le célibat, la virginité, la castration.
En ce qui concerne les représentations homosexuelles observables, les auteurs en déduisent qu'il s'agissait probablement d'un rite de passage. Parmi les références souvent citées par les différents intervenants dans ce dossier, on note le travail de Guilhem Olivier sur l'homosexualité préhispanique dans les années 1990-2000.
Les articles périphériques à ce grand dossier sur la sexualité n'en demeure pas moins intéressants. On peut retenir cette page sur l'utilisation des anciennes techniques de fabrication pour la restauration de différents monuments et sites du Yucatan, alors que les techniques modernes avaient la réputation d'être plus efficaces.
Le Dr. Manuel Hermannn Lejarazu, un peu chahuté dans un courrier au magazine, présente l'histoire du Codex Colombino. Parallèlement Xavier Noguez s'intéresse à la Mapa de Tenochtitlan-Tlatelolco.
Soulignons le texte de Carlos Peraza Lope et Susan Milbrath sur un magnifique brasero retrouvé à Mayapan. Surnommé le scribe, cette céramique polychrome repèterait des éléments iconographiques et symboliques tant de la région maya que du Haut-Plateau central.
Notons également la contribution d'Eric Taladoire sur la découverte de la tête olmèque de Hueyapan. Extrêmement bien documenté, cet article essaie de démêler les fils d'une pseudo-découverte et d'une localisation défaillante dans les récits de voyageurs de l'époque.
Curieusement, c'est la première fois que le site de l'INAH propose un résumé de sa revue sur son site internet... Heureusement que nous résumons de manière critique la revue depuis quelque temps déjà.
Après cet article consacré à l'histoire de l'archéologie mésoaméricaine, Xabier Lizarraga Cruchaga propose d'établir un regard différent sur l'archéologie en utilisant "l'archéologie du comportement". Cet article est assez pointu et pourra paraître même être compliqué pour un spécialiste. Les exemples choisis demeurent trop théoriques et il aurait mieux voulu théoriser à partir d'un cas concret. Si on traduit la définition proposée par Lizarraga Cruchaga, on peut lire que : "l'anthropologie du comportement analyse les populations du passé en prenant en compte l'environnement et les modifications que lui font les hommes pour obtenir des ressources dont ils peuvent profiter". Cette définition est complétée de la manière suivante : "c'est un outil qui relie les organismes vivants et leurs environnements pour comprendre pour quelle raison et pour quel objectif une série d'activités arrivent à laisser des traces, qui possiblement, deviennent une découverte archéologique.
Références bibliographiques :
OLIVIER, Guilhem.
1992. "Conquistadores y misioneros frente al 'pecado nefando' ". In Historias, vol. 28, p. 47-63.
1997. Moqueries d'un dieu aztèque. Tezcatlipoca, le "Seigneur au miroir fumant". Institut d'Ethnologie - CEMCA, Paris.
2004. "Homosexualidad y prostitución entre los nahuas y otros pueblos del Postclásico ". In Historia de la vida cotidiana en México, vol. I, Mesoamérica y los ambitos indigenas de la Nueva España, P. Escalante Gonzalbo (coord.), El Colegio de México - FCE, México, p. 301-338.
Dans ce nouveau numéro d'Arqueologia Mexicana, les différents chercheurs ont tenté de remettre à plat nos connaissances sur ce sujet, en le traitant de manière objective. Il faut dire qu'il y a quelques temps, un colloque avait déjà été organisé sur le sujet. Notre vision des anciens peuples mésoaméricains est donc biaisée et remplie de préjugés.
Ce qui frappe à la lecture de ce magazine, c'est l'existence de différentes sexualités en Mésoamérique. Alfredo Lopez Austin explique bien que, selon les époques et les cultures, la sexualité a des pratiques et des significations variées. Néanmoins il établit un "trame dense de liens tissé pendant des millénaires, selon chaque tradition". Lopez Austin rappelle à juste titre que son article reste néanmoins très généralisant, car une recherche plus détaillée. Au début de son texte, l'auteur rappelle l'opposition et la complémentarité des principes mâles et femelles dans les traditions mésoaméricaines.
Ces différentes perceptions et manière de vivre la sexualité sont ensuite très clairement expliquées dans le reste des articles. L'article de Stephen Houston (récent co-inventeur de la tombe de Tortue Rouge à El Zotz) et de Karl Taube nous montre l'extrême pudeur (à quelques rares exceptions) des Mayas à représenter l'accouplement. En revanche, les représentations phalliques sont plus nombreuses et souvent associées à la captivité. Le cas des phalli sculptés est également expliqué. Les auteurs rappellent que même des jouets à caractère sexuel pour femmes ont aussi été découverts dans le Cénote des Sacrifices, à Chichen Itza.
La déesse Ixic avec un vieux dieu. Codex de Dresde, p. 21c
La masturbation est en fait un phénomène plus général auquel Carlos Navarrete Caceres a particulièrement prêté attention. Mais son étude porte uniquement sur la représentations (limitées) et les significations de la masturbation masculine. Elle semble essentiellement rituelle, les hommes répétant ce que certains divinités avaient pu faire pour créer. Elle est à mettre en relation directe avec la fertilité de la terre.Felix Baez-Jorge propose un article-résumé de ses travaux sur les représentations du vagin denté en Mésoamérique. L'iconographie du vagin denté est en effet observable à différents endroits et à différentes époques. Il aurait d'ailleurs été intéressant que l'auteur en fasse un critère supplémentaire à la liste établie par Kirchoff pour définir la Mésoamérique. Au delà de l'existence généralisé de cet élément iconographique, Baez-Jorge établit des rapprochements intéressants avec les mythes identifiant la femme à la terre. Les références à l'épuisement du tonalli de l'homme par la répétition de relations sexuelles sont nombreuses, notamment chez Sahagun.
Guilhem Olivier revient plus longuement sur l'homosexualité que Houston et Taube ont rapidement abordé chez les Mayas. Le chercheur français reprend différents textes de l'époque coloniale. Il détaille également la nature infamante des travestis et les lois qui condamnaient cette pratique. Mais surtout l'analyse d'Olivier met en exergue la nature ambiguë, pour ne pas dire hermaphrodite des divinités mésoaméricaines, présentant toutes des aspects masculins et féminins. Il rapporte la ferme condamnation de l'homosexualité chez les Mexicas, même s'il croit deviner une orientation sexuelle de cet ordre chez Tezcatlipoca.
Homosexuel condamné au bûcher.
Codex de Florence, X, pl. 25v.
Disponible le 24 juillet 2010 sur http://tinyurl.com/272s6gl .
Un autre élément important des mythes mésoaméricains est la transgression sexuelle. Passablement étudiée et expliquée par Michel Graulich, elle fait l'objet d'un article de la part de Miriam Lopez Hernandez et Jaime Echeverria Garcia. Or ce texte semble un écho des travaux du chercheur belge. Pour ceux qui connaissent ces travaux, il n'y aura donc pas grand chose de nouveau. Cependant il est nécessaire de bien comprendre cet élément fondateur qu'est la transgression sexuelle dans la pensée mésoaméricaine. C'est la transgression mythique qui fait apparaître l'humanité. C'est cette même faute qui rend l'homme mortel et le soumet à la volonté des dieux. L'article explique enfin judicieusement les conséquences morales et judiciaires de pratiques sexuelles illégales dans la vie quotidienne des anciens peuples mésoaméricains.
Pour terminer ce dossier, Yollotl Gonzalez Torres propose une étude plus générale sur la sexualité et la religion dans différentes cultures à travers le monde. Le travail de l'auteur peut sembler un peu éculé au regard des parties proposées : les représentations de la vulve, puis du pénis, l'importance du sperme, l'universalité de l'inceste divin, la prostitution, le célibat, la virginité, la castration.
En ce qui concerne les représentations homosexuelles observables, les auteurs en déduisent qu'il s'agissait probablement d'un rite de passage. Parmi les références souvent citées par les différents intervenants dans ce dossier, on note le travail de Guilhem Olivier sur l'homosexualité préhispanique dans les années 1990-2000.
Les articles périphériques à ce grand dossier sur la sexualité n'en demeure pas moins intéressants. On peut retenir cette page sur l'utilisation des anciennes techniques de fabrication pour la restauration de différents monuments et sites du Yucatan, alors que les techniques modernes avaient la réputation d'être plus efficaces.
Le Dr. Manuel Hermannn Lejarazu, un peu chahuté dans un courrier au magazine, présente l'histoire du Codex Colombino. Parallèlement Xavier Noguez s'intéresse à la Mapa de Tenochtitlan-Tlatelolco.
Soulignons le texte de Carlos Peraza Lope et Susan Milbrath sur un magnifique brasero retrouvé à Mayapan. Surnommé le scribe, cette céramique polychrome repèterait des éléments iconographiques et symboliques tant de la région maya que du Haut-Plateau central.
Le Scribe de Mayapan. Céramique polychrome,
Maya, Postclassique récent, hauteur : 50 cm.
Réserve de la zone archéologique de Mayapan, Yucatan.
Photo : Phil Hofstetter, retrouvé le 24 juillet 2010 sur http://tinyurl.com/25z4cmj .
Notons également la contribution d'Eric Taladoire sur la découverte de la tête olmèque de Hueyapan. Extrêmement bien documenté, cet article essaie de démêler les fils d'une pseudo-découverte et d'une localisation défaillante dans les récits de voyageurs de l'époque.
Gravure de la tête de Hueyapan,
publié dans Melgar y Serrano (1898).
Image disponible le 24 juillet 2010 sur http://tinyurl.com/39cjb9j
Curieusement, c'est la première fois que le site de l'INAH propose un résumé de sa revue sur son site internet... Heureusement que nous résumons de manière critique la revue depuis quelque temps déjà.
Après cet article consacré à l'histoire de l'archéologie mésoaméricaine, Xabier Lizarraga Cruchaga propose d'établir un regard différent sur l'archéologie en utilisant "l'archéologie du comportement". Cet article est assez pointu et pourra paraître même être compliqué pour un spécialiste. Les exemples choisis demeurent trop théoriques et il aurait mieux voulu théoriser à partir d'un cas concret. Si on traduit la définition proposée par Lizarraga Cruchaga, on peut lire que : "l'anthropologie du comportement analyse les populations du passé en prenant en compte l'environnement et les modifications que lui font les hommes pour obtenir des ressources dont ils peuvent profiter". Cette définition est complétée de la manière suivante : "c'est un outil qui relie les organismes vivants et leurs environnements pour comprendre pour quelle raison et pour quel objectif une série d'activités arrivent à laisser des traces, qui possiblement, deviennent une découverte archéologique.
Références bibliographiques :
OLIVIER, Guilhem.
1992. "Conquistadores y misioneros frente al 'pecado nefando' ". In Historias, vol. 28, p. 47-63.
1997. Moqueries d'un dieu aztèque. Tezcatlipoca, le "Seigneur au miroir fumant". Institut d'Ethnologie - CEMCA, Paris.
2004. "Homosexualidad y prostitución entre los nahuas y otros pueblos del Postclásico ". In Historia de la vida cotidiana en México, vol. I, Mesoamérica y los ambitos indigenas de la Nueva España, P. Escalante Gonzalbo (coord.), El Colegio de México - FCE, México, p. 301-338.
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