Suite à la conférence prononcée par l'archéologue Mariana Favila Vazquez hier à El Colegio Nacional, nous plongeons dans un aspect fascinant et souvent méconnu de l'histoire mésoaméricaine : la navigation préhispanique. Loin de l'image d'une civilisation uniquement terrestre, les peuples du Mexique ancien étaient des marins et des navigateurs aguerris, exploitant fleuves, lacs et mers pour le commerce, la guerre et la vie quotidienne.
Transmise en direct sur les réseaux sociaux de la prestigieuse institution mexicaine, l'intervention de Favila Vazquez, met en lumière la navigation maya et son importance.
Dès les années 1970. des archéologues comme Norman Hammond ont souligné l'ampleur de la navigation maritime maya le long des côtes du Yucatán, principalement à travers l'étude de sources iconographiques. Des travaux plus récents, à partir des années 2010, ont étendu ces études aux eaux intérieures, c'est-à-dire les lacs et les rivières, avec des contributions majeures de chercheurs tels que Mariana Favila et Alexandra Biar.
Les anciennes civilisations mayas ont développé de vastes réseaux commerciaux maritimes qui ont grandement contribué à leur succès sur trois millénaires. Ces réseaux permettaient l'échange de biens de consommation courante, comme le sel, essentiel pour l'alimentation et la conservation des aliments, produit dans des ateliers côtiers par ébullition de la saumure. Le commerce des produits d'élite était également central pour renforcer le pouvoir politique. Des marchandises précieuses telles que l'obsidienne, les coquillages, les épines de raie (utilisées dans les rituels de saignée royale), des céramiques fines, le jade, le cacao, les textiles et même l'or (souvent importé de régions plus au sud comme le Costa Rica et l'Équateur) circulaient sur ces routes maritimes.
Les Mayas utilisaient principalement des canoës monoxyles (fabriqués à partir d'un seul tronc d'arbre évidé) et des radeaux. Ces canoës, parfois faits de cèdre, étaient rendus étanches avec du bitume. Les récits des explorateurs espagnols témoignent de la grande taille de ces embarcations, capables de transporter jusqu'à 20 à 50 personnes, et même de flottes de centaines de canoës avec des milliers d'hommes lors d'expéditions ou de conflits. Le cabotage, une technique de navigation le long de la côte sans perdre de vue la terre, leur permettait de parcourir de longues distances.
De nombreux ports mayas ont été identifiés, classés en quatre catégories principales : ports de transbordement, ports autonomes, ports contrôlés par une entité politique intérieure et ports de départ. Parmi eux, on peut citer Cerros, Chac Balam, Isla Cerritos, Jaina ou Tulum. Tulum, par exemple, possédait une structure, le Castillo, qui aurait pu servir de phare pour guider les navigateurs à travers le récif corallien.
Longtemps, les espaces aquatiques ont été considérés comme de simples "limites" aux activités terrestres. Cependant, des recherches récentes, notamment celles de Mariana Favila Vázquez dans son ouvrage "La navegación prehispánica en Mesoamérica. Modelo de conectividad entre la costa del Pacífico y el Altiplano Central (1200-1521 d. C.)", remettent en question cette dichotomie. Pour Favila, les environnements aquatiques faisaient partie intégrante des sociétés, et non des espaces opposés ou marginaux. Son travail met en lumière les technologies nautiques indigènes qui n'ont pas disparu avec le début de la période coloniale, mais ont perduré et se sont même adaptées.
L'approche de Favila est profondément interdisciplinaire, combinant l'archéologie (paysage, maritime, vestiges), l'ethnohistoire et les sciences de l'information géographique (SIG). Elle a étudié des vestiges physiques, mais aussi des peintures murales, des codex, des représentations rituelles, des céramiques et des traditions orales pour comprendre la navigation. Elle a notamment exploré le "couloir du fleuve Balsas" comme un exemple de connectivité, montrant comment cette zone fluviale reliait diverses régions et même des points plus éloignés d'Amérique Centrale et du Sud.
Ces sociétés utilisaient différents types de canoës et de radeaux. Chez les Mexicas, les canoës s'appelaient acalli ("maison sur l'eau") et des variations comme les chimallacali étaient utilisées pour le combat, avec des boucliers en bois. Chez les Tarasques, on distinguait les tepari (grandes canoës) et les icháruta (petites), avec des officiers dédiés à leur administration. L'étude de la capacité de charge de ces canoës est cruciale, car elle révèle comment des monolithes de plusieurs tonnes, comme ceux du Templo Mayor, auraient pu être transportés par voie aquatique en attachant plusieurs embarcations ensemble.
La navigation a également structuré l'espace par des routes aquatiques formelles (comme les grandes acequias de Tenochtitlan) et informelles, complétées par des installations spécifiques telles que des quais, des embarcadères et des ports qui facilitaient la transition entre les milieux aquatiques et terrestres. Le Canal de la Viga, dans le bassin de Mexico, en est un exemple emblématique, ayant servi d'artère d'approvisionnement majeure jusqu'au milieu du XXe siècle
Si ce sujet vous intéresse, de nombreuses recherches récentes approfondissent la compréhension de la navigation préhispanique au Mexique :
- Favila Vázquez, M. (2020). La navegación prehispánica en Mesoamérica. Modelo de conectividad entre la costa del Pacífico y el Altiplano Central (1200-1521 d. C.). Oxford, Bar International Publishing. Cet ouvrage est central pour le sujet.
- Biar, A. (2021). Navigations et installations lacustres sur les Hautes Terres du Mexique : les cas mexica et tarasque. e-Phaïstos, IX-1. Il s'agit de la synthèse de sa thèse de doctorat.
- Favila Vázquez, M. (2016). Veredas de mar y río: navegación prehispánica y colonial en los Tuxtlas, Veracruz. México: Universidad Nacional Autónoma de México.
- Biar, A. et Favila, M. (2016). Tradición de navegación indígena en Mesoamérica: los casos lacustres mexica y tarasco. Dans Hoces-García, A. et Moral-García, C. (Coords), El mar: una forma de vida en América (pp. 97-124). Murcia: Artes Gráficas Pagán.
- Favila Vázquez, Mariana. (2022). La tecnología náutica en el México prehispánico. Arqueología Mexicana, núm. 174, pp. 24-31.
- McKillop, H. (2005). In Search of Maya Sea Traders. Texas A&M University Press. Bien que non citée directement comme une recommandation par les sources, la Maritime trade in the Maya civilization de Wikipédia la cite largement et est pertinente.
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