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Polémique sur la manipulation de l'histoire par certains tlatloanis

Lié à la non moins célèbre sur la quantité de victimes sacrificielles au Grand Temple de Tenochtitlan, un débat polémique a surgi sur la liste Aztlan suite à une remarque que j'ai fait sur cette même liste : l'histoire mexica de Tenochtitlan a été modifiée consciemment par plusieurs de ses dirigeants. Ce constat simple, reconnu par une très grande majorité de la communauté mésoaméricaniste et documenté par l'archéologie et par plusieurs textes, a cependant été battu en brêche par Roberto Romero Gil.

Je ne saurai reproduire ici l'intégralité de son message (tant par sa longueur que par la langue utilisée).  J'essaierai donc d'en faire un résumé aussi objectif que possible. La question essentielle est de savoir quelles parties de l'histoire mexica avaient été manipulés. Suit une longue liste des épisodes qui, selon Gil, sont considérés à tort comme manipulation par les chercheurs modernes. Il rejette ainsi en bloc l'idée qu'Itzcoatl ait pu faire brûler des codex qui auraient pu contenir ou cacher l'origine chichimèque ou la condition de tributaire de Tenochtitlan.

Un des arguments avancés par Gil est le fait que la tradition mexica était essentiellement orale et que les codex étaient essentiellement à usage rituel. Mais Romero Gil oublie que la tradition orale est plus facile à manipuler que la tradition écrite. De plus l'enseignement de l'histoire et des rituels chez les Mexicas n'étaient pas accessibles à tous. Seule une élite y avait accès. Cela facilitait la manipulation des masses.

Or tous ces éléments, on les connaît par l'archéologique mais également par les chroniques plus ou moins tardives, plus ou moins partiales qui sont arrivées jusqu'à nous. Je répondrai cependant en posant d'autres questions : comment expliquer que nous connaissions si peu sur les premiers tlatloanis ? Pourquoi n'avons aucune trace de codex mexicas-tenochcas (en dehors du fait que les Espagnols aient procédé à de nombreux autodafés) ? Comment expliquer que Moctezuma décide de changer l'année du Feu Nouveau d'une date 1 Lapin à 2 Roseau comme le montre clairement le Teocalli de la Guerre Sacrée ?

Certes, l'historiographie des Mexicas pose encore de nombreux problèmes cruciaux, comme le souligne Jerry Offner sur Aztlan. Mais Romero Gil a toujours caractérisé sa pensée de manière à glorifier un passé aztèque sans tâche, à revendiquer une graphie du nahuatl qui fait fi des textes classiques qui sont pourtant la base de nos recherches, appelant une forme d'intégrisme paradoxale. Je ne suis pas du genre à faire des arguments ad hominem. Mais les références au nazisme pour qualifier la vision actuelle qu'ont les chercheurs sur Itzcoatl  est exagérée et mal venue de la part d'une personne qui n'a pas vécu directement ou indirectement les horreurs et les conséquences du nazisme. C'est aussi insulter le travail de nombre de chercheurs. Rappelons que ce monsieur est indépendant, sans attache à une université ou un laboratoire de recherches.

Enfin s'il est bien un truisme dans les études historiques, y compris dans l'histoire moderne, c'est de considérer qu'il est plus avantageux de cacher les casseroles et de glorifier certains faits qui ne le méritaient pas vraiment. Prenons un cas mexicain et un exemple français. C'est bien le président Miguel Aleman, qui dans le but de glorifier l'armée mexicaine face au Président Harry Truman, a demandé la panthéonisation des fameux Niños Heroes en résistant héroïquement lors de l'invasion  des Américains en 1847. En fait les faits sont différents : les Mexicains disposaient de plus de soldats que les Américains mais, en manque d'armes et de munitions, la majorité a préféré fuire le champ de bataille et délaisser Chapultepec. Voilà comment manipuler le passé pour en tirer parti.

Côté français, on enseigne rien des guerres de la décolonisation. Si on découvre peu à peu les exactions de l'armée français pendant la Guerre d'Algérie, que sait-on du conflit meurtrier entre la France et le Cameroun ? Rien si ce n'est que 50 ans plus tard, les Camerounais ont fêté leur indépendance. En France, pas un mot sur le sujet. Ici, ce qui ne favorise pas un pays n'est pas mentionné dans l'histoire.

Le passé n'est pas seulement manipulé : il est caché. Les exemples ne manquent pas à travers l'histoire de l'humanité tendent donc à le prouver. Pourquoi diable n'en serait-il pas de même avec les Tenochas ou les Mayas ?

Heureusement certaines personnes de bon sens comme Michael Smith ou Jerry Offner ont produit des références qu'on peut trouver assez facilement. Parmi celles qu'il convient de retenir, voici deux articles de en format .pdf .

2005. "Memoria y olvido, ostracismo y propaganda: El Imperio Tepaneca en fuentes e historiografía." In Revista Española de Antropología Americana, 35, Madrid, p. 117-131.

2007. "Cuauhnahuac ante la hegemonía tepaneca". In Estudios de Cultura Náhuatl, 38, UNAM, Mexico, p. 313-343.

On ajoutera à cette liste le travail de Susan Gillespie :
1989. The Aztec Kings: The Construction of Rulership in Mexica History. University of Arizona Press, Tucson.

2008. "Blaming Moteuczoma: Anthropomorphizing the Aztec Conquest". In Invasion and Transformation: Interdisciplinary Perspectives on the Conquest of Mexico, edited by Rebecca P. Brienen and Margaret A. Jackson. University Press of Colorado, Boulder, pp. 25-56.

Ajoutons enfin cet article rédigé par Michael Smith.
2005. "Motecuhzoma II". In Berkshire Encyclopedia of World History, edited by William H. McNeill, pp. 1302-1303, vol. 3. Berkshire Publishing, Great Barrington, MA.

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