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Compte-rendu Arqueología mexicana 135

N.B. Les images reproduites dans cette note sont protégés par le droit d'auteur. Nous remercions Justin Kerr de nous avoir autorisés à reproduire les déroulés des vases K1599 et K1248. Si vous souhaitez utiliser ces images, nous vous invitons à contacter directement M. Kerr.

C'est un très intéressant numéro d'Arqueología mexicana que nous allons essayer de vous résumer. Si l'archéologie nous a permis d'apprécier la conception de l'univers que les anciens peuples mésoaméricains avaient développé, il est certains aspects culturels qui sont encore méconnus, voir mal exploités comme le sont nos perceptions sensorielles. Nous avons déjà eu l'occasion de parler des travaux de Francisca Zalaquett sur l'acoustique et la musique développée notamment par les Mayas. De même il nous est relativement facile d'approcher les perceptions gustatives très variées dont pouvaient profiter les peuples qui vivaient dans cette partie du monde : les paléobotanistes, les archéozoologues sont des spécialistes qui sont souvent mis à contribution du moment où sont retrouvés des graines ou des restes animaux. 



Qu'en est-il de l'odorat, ce sens qui marque considérablement notre mémoire ? C'est pour cette raison qu'Élodie Dupey-García, diplômée de l'EPHE en histoire des religions, et actuellement enseignante-chercheuse à l'Institut de Recherches Historiques de l'Université Nationale du Mexique, a joué le rôle de rédactrice en chef pour le dernier numéro en date de la revue publiée par l'Institut National d'Anthropologie et d'Histoire. Dupey-García s'intéresse depuis plusieurs années au vocabulaire des couleurs et des odeurs développés par les anciens habitants du centre du Mexique.

Le dossier central propose un parcours entre parfums de fleurs et odeurs d'immondices, leurs représentations, leur lexique et leur valeur symbolique, rituelle et mythologiques. Dans un premier article qui sert d'introduction au thème, la chercheuse franco-mexicaine montre que les odeurs ont une présence importante dans la vie quotidienne des peuples mésoaméricains, marquée par des rituels réguliers d'offrandes de copal, de fleurs ou de sacrifices animaux et humains. Elle montre également comment le type d'odeur peut refléter la conception de l'univers, les cieux où résident le couple suprême concentrent les odeurs agréables tandis que le monde souterrain est le lieu de la puanteur et des mauvaises odeurs. Elle achève cette introduction en mettant bien en évidence la perspective pluridisciplinaire de cette étude, trouvant ses informations dans l'archéologie, la linguistique, la philologie ou l'iconographie.

Marisa Vázquez de Ágredos, professeure à l'Université de Valence, Vera Tiesler, anthropologue physique et professeure à l'Université Autonome du Yucatan, et feu Arturo Romano Pacheco, qui fut le premier à travailler sur les restes de Pakal, proposent une lecture innovante sur le traitement  du corps du défunt dans l'ancienne aristocratie de Pakal. Les auteurs estiment plausible l'onction d'un onguent composé de cinabre, d'huiles essentielles de fleurs et de résines sur le corps de Pakal et de la Reine rouge. Ce traitement mortuaire avait problablement comme objectif le maintien d'une odeur corporelle agréable du défunt le temps de son long transit vers l'inframonde, lieu de la pourriture et des immondices.

L'archéologue américain Stephen Houston et sa compatriote Sarah Newman proposent un travail lié directement à l'odorat et sur le binôme fleurs odorantes-bêtes fétides. Ils effectuent notamment une analyse épigraphique et iconographique duquel surgit l'usage de petits bouquets d'oeillets d'Inde ou de tagètes utilisés par les nobles pour dissiper les mauvaises odeurs mais aussi éloigner certains insectes. 


Ill. 1. Personnages tenant des bouquets d'oeillets, Vase de Dos Pilas.
Crédit photo: Justin Kerr/Mayavase K1599.
Disponible le 13/09/2015: 

Du point de vue épigraphiques, les auteurs mettent en évidence le glyphe "boucle de kaban" présent sur certaines représentations du pécari (ill.2), ce suidé parent du sanglier, du cerf et d'un des jumeaux divins du Popol Vuh (ill3).

Ill. 2. Vaisselle quadripode, Maya, Classique moyen
Musée des Arts, Dallas.
Inv. 1988.82.A-B
Disponible le 13/09/2015 sur: 


Ill. 3. Glyphe "Boucle de Kaban".
Crédit photo : J. Kerr/Mayavase K1248.
Disponible le 13/09/2015 sur : 

Sur cette dernière vaisselle, le glyphe est écrit juste devant le visage du personnage portant une coiffe en forme de tête de cerf et prend la forme d'une volute arrondie.

De son côté Miguel García González, étudiant de l'ENAH et collaborateur du Projet Templo Mayor. revient sur la spectaculaire offrande 130 découverte quelques mois après la découverte du monolithe de Tlaltecuhtli. L'équipe pluridisciplinaire a enregistré la présence de 32 encensoirs dans une cache situé sous le lourd pavement de la Phase VI du Grand Temple. Les pièces ont fait l'objet d'analyses multiples, notamment des restes végétaux incinérés. Les paléobotanistes ont ainsi établi la présence de différentes plantes comestibles comme l’amarante, l'epazote, la tomate verte, les agritos. Le tlémauitl ou " main de feu " était considéré métaphoriquement comme porteur du feu sacré. Ils étaient utilisés plusieurs fois dans la journée. Cela explique notamment la présence répété du copal mais aussi des œillets. Iconographiquement parlant, les encensoirs ont des manches peints et modelés de manière à représenter un serpent, un jaguar. L'encensoir A-16 a même un manche en forme de tige d’œillet. Les deux émettaient des effluves agréables.


Suit un second article d'Élodie Dupey-García sur l'iconographie des odeurs dans les codex du centre du Mexique. L'auteure prétend ici décrypter les représentations de serpents, volutes et fleurs. Son travail revient notamment sur l'association d'images animales comme le jaguar, le serpent, la plume de quetzal. Par exemple, elle estime qu'est représenté l'image du sang brûlé sur la planche 42 du Codex Laud ou la planche 72 du Codex Vaticanus B (ill.4).


Ill. . Quetzalcoatl-Ehecatl en train de brûler les épines utilisés pour l'autosacrifice,
Codex Vaticano B, pl. 72.
Disponible le 13/09/2015 : 
http://www.famsi.org/research/graz/vaticanus3773/page72.jpg

Sur la planche 9 du Laud (ill.5) , on voit une représentation de Mayahuel, déesse lunaire du pulque tenant dans sa main droite un petit récipient contenant une fleur, dont le pistil et les étamines sont représentés souvent comme des yeux célestes, c'est à dire les étoiles. De fait cette relation étroite entre fleurs et étoiles est observable selon l'auteur dans des représentations des bandes célestes.


Ill. 5. Mayahuel, Codex Laud, pl. 9.
Disponible le 13/09/2015 : 

Suit un excellent article de l'ethnographe Jacques Galinier sur le rapport surprenant qu'on les Otomis contemporains avec la fétidité. Le chercheur de Paris X-Nanterre explique notamment cette fétidité est présente autant dans la conception de la vie et de la mort, de l'univers et même dans le lexique de la famille.

L'historien Omar Olivares propose une perspective iconographique contemporaine également en discutant la peinture murale El agua, origen de la vida exécutée en 1951 par Diego Rivera sur les parois de la fosse des eaux de Chapultepec. 


L'archéobotaniste Aurora présente une très courte participation (2 pages en tout et pour tout) sur l'utilisation rituel du copal en Mésoamérique. On eût été en droit d'attendre un peu plus lorsqu'on connaît l'importance de ce dernier dans la vie rituelle mésoaméricaine, laissant un arrière-goût d'inachevé à ce dossier.

Parallèlement au thème principal de ce numéro, le lecteur pourra profiter d'une véritable enquête policière rédigé à quatre mains par Leonardo López Luján et Marie-France Fauvet Berthelot. En historiens de l'archéologie, ils se sont intéressés au cas troublant de l'Espagnol Thomas Murphy et du trafic d'oeuvre d'art alors que le Mexique venait à peine d'obtenir son indépendance. Cette histoire explique la présence de nombreux objets aujourd'hui enregistrés dans les collections du Musée du Quai Branly.

Vous pourrez également lire les premiers pas de ce qui s'annonce être un des grands projets archéologiques des prochaines dans le sud du Quintana Roo. Javier López Camacho, Araceli Vázquez Villegas et Renato José Zamudo exposent les résultats de leurs premières prospections sur le site maya préclassique de Lakin Kah Las Palmas, dans le sud de l'état du Quintana Roo, à la frontière du Bélize. Deux groupes monumentaux ont pu être identifiés. Le Groupe Cenote est situé sur la partie sud du site et consiste en une acropole triadique comme on peut l'observer sur des sites comme El Mirador ou Lamanai. Le second a été nommé Palma Real et consiste en trois ensembles orientés nord-sud. Les deux groupes étaient reliés à un autre site mineur baptisé Mucaancah. 

L'article ethnohistorique de ce numéro est une réflexion de Patrick Johansson sur les apparentes contradiction de représentations et de chroniques racontant la fondation de Tenochtitlan. L'historien français estime que la date clé 1 Silex correspond plus à une hiérophanie lunaire qui annonce la fondation de Tenochtitlan en 2 Maison. Cela permettrait notamment de confirmer l'étymologie du peuple mexica, . L'auteur fait ensuite un décompte des autres 1 Tecpatl : l'intronisation d'Acamapichtli en 1376 et la victoire décisive d'Itzcoatl contre les Tépanèques sont autant d'événements fondateurs dans l'histoire des Tenochcas.

L'épigraphiste Guillermo Bernal Romero propose une lecture du logogramme T514, Yej ou "fil" qu'il avait récemment présenté en conférence. Cette proposition a suscité un certain débat entre les épigraphistes. C'est notamment grâce à ce glyphe que Bernal pense avoir identifié le nom original de la tombe de Pakal.


Terminons notre lecture en mentionnant les rubriques habituelles que sont Mensonges et vérités d'Eduardo Matos Moctezuma et le document de Xavier Noguez. Le premier revient sur la présence de la statue de la grande Coatlicue en haut du Grand Temple tandis que le second présente la Carte de Macuilxochitl, document colonial originaire de Tlacolula, Oaxaca.

Références bibliographiques
Dupey-García, E. et Olivier, G. "Serpientes, colores y dioses en el Libro XI del Códice florentino de fray Bernardino de Sahagún", en José Rubén Romero Galván y Pilar Máynez (coords.), El universo de Sahagún. Pasado y presente. 2011, México, IIH, UNAM, 2014, 180-200. Facsimilé disponible le 13/09/2015: https://www.academia.edu/9627038/En_colaboraci%C3%B3n_con_Elodie_Dupey_Garc%C3%ADa_Serpientes_colores_y_dioses_en_el_Libro_XI_del_C%C3%B3dice_florentino_de_fray_Bernardino_de_Sahag%C3%BAn_en_Jos%C3%A9_Rub%C3%A9n_Romero_Galv%C3%A1n_y_Pilar_M%C3%A1ynez_coords._El_universo_de_Sahag%C3%BAn._Pasado_y_presente._2011_M%C3%A9xico_IIH_UNAM_2014_ .

López Luján, L. (2012). Humo aromático para los dioses: Una ofrenda de sahumadores al pie del Templo Mayor de Tenochtitlan. Mexico: Museo del Templo Mayor, INAH.

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