Accéder au contenu principal

Deux nattes tissées découvertes à Teotihuacan

L'archéologue Sergio Gómez est le responsable du Projet Tlalocan qui s’attèle depuis plusieurs années à un projet de fouilles méthodiques d'un tunnel courant sous la pyramide adossée et la pyramide du serpent à plumes à Teotihuacan. A l'intérieur de ce tunnel connectait plusieurs chambres que les archéologues de l'INAH sont peu à peu en train de découvrir.

Après avoir déblayé plus de 800 tonnes de terre déblayées et mis au jourplus de cinquante mille objets, l'équipe du Proyecto Tlalocan a mis la main sur des objets très intéressants d'un point de vue symbolique. Gómez Chávez a annoncé une découverte inédite sur les réseaux sociaux et dans une brève publiée sur le site du quotidien La Jornada. Il s'agit de deux petates ou nattes. Finement tressées, ces objets en vannerie d'une grande fragilité vont finalement pouvoir être conservés après avoir passé près de deux mille ans dans cet endroit. En revanche leur extraction a requis des travaux préalables très minutieux de la part d'une équipe de restaurateurs dirigés par Alfonso Cruz.

Même si nous ne disposons pas du contexte complet de la découverte, certains éléments ont été révélés à la presse. Les deux nattes étaient disposées côte à côte au niveau du sol avec un mobilier varié comptant une cinquantaine d'artefacts. On a notamment compté des pots, des vases en terre cuite mais aussi des couteaux en silex et en obsidienne. La première natte mesure 1 m de longueur sur 40 cm de largeur tandis que la seconde atteint 40 cm de longueur sur 30 cm de largeur. Aucune précision n'est donnée sur une éventuelle pigmentation.

Pourquoi faire tant de pataqués pour cette découverte alors ? D'une part parce que c'est la première fois que de tels objets sont retrouvés à Teotihuacan. Ensuite parce que les petates sont des objets à forte connotation politique dans les civilisations mésoaméricaines anciennes. La natte est un attribut de pouvoir au même titre que le sceptre ou la peau de jaguar. On en a des témoignages archéologiques et ethnohistoriques depuis les Olmèques jusqu'aux témoignages des informateurs de Sahagún. Dans les années 1980 et 1990, les travaux de Cabrera Castro (1), Sugiyama (2), Manzanilla (3) ou López Austin et López Luján (4) avaient émis l'hypothèse d'au moins deux groupes se disputant le contrôle sur une ville qui pourrait avoir compté plus de cent mille habitants. L'un d'eux aurait eu le serpent à plumes comme emblème, la pyramide homonyme ayant pu être le symbole de leur assise. Cependant au deuxième siècle de notre ère, différents lieux incendiés autour de la pyramide laissent penser à d'importants changements politiques et religieux. La pyramide du Serpent à plumes fut alors couverte par une pyramide adossée, les représentations de la créature détruite ou transformé pour celle, presque exclusive de félins. La présence de deux nattes prendrait donc un sens tout particulier, pour peu que leur date puisse être mise en relation avec la chronologie de la Citadelle et avec la Pyramide du Serpent à plumes. A Teotihuacan il existe notamment de nombreuses associations du serpent à plumes avec la natte, tant sur les peintures murales que sur des céramiques. Dès lors cette découverte remarquable pourrait un peu plus confirmer l'importance politique de cette partie de la ville à un moment donné.

Parallèlement, une autre offrande a été rapporté dans une autre partie du tunnel. Elle comprenait différents objets, probablement en bois, incrustés de cristaux, de roches et de jadéite. Gómez Chávez estime cependant qu'une reconstitution de ces objets pourra être effectuée.

[Édition du 16/04/2013. L'INAH propose quelques informations complémentaires dans un bulletin publié sur son site internet le 15/04/2013. On y apprend notamment que les premières explorations du robot Tlaloc II, construit en collaboration avec l'Instituto Politécnico Nacional, chercheront à atteindre le fond du tunnel et à en donner des images aux archéologues]

[Édition du 28/04/2013. Un nouveau bulletin de l'INAH publié sur son site internet le 23/04/2013 fait état des premières découvertes par le robot Tlaloc II. Les images délivrés par ce dernier ont permis d'établir l'existence de trois chambres au fond de ce tunnel. Selon Sergio Gómez, leur profondeur pourrait être supérieure à 5 m, étant donné qu'il s'agit de la limite atteinte par le scanner. Cependant l'avancée du petit véhicule ne s'est pas faite sans encombre : ses roues se sont embourbées sur 20 ou 30 cm, cela étant dû autant aux 35 kgs de l'engin qu'à l'humidité.]

(1) CABRERA CASTRO, R. (1998). La serpiente emplumada y el jaguar como símbolo de poder político. In Karol Kociba Henryk & Yolotl Gonzalez Torres (Eds.), Historía comparativa de las religiones (pp. 197-220). Mexico : Instituto Nacional de Antropología e Historia.
(2) SUGIYAMA, S. (2005). Human sacrifice, militarism, and rulership : materialization of state ideology at the Feathered Serpent Pyramid, Teotihuacan. Cambridge ; New York: Cambridge University Press.
(3) MANZANILLA, L. (2001). Gobierno corporativo en Teotihuacan: una revisión del concepto palacio aplicado a la gran urbe prehispánica. Anales de Antropología, 35, 157-190.
MANZANILLA, L. (2009). Corporate Life in Apartment and Barrio Compounds at Teotihuacan, Central Mexico: Craft Specialization, Hierarchy, and Ethnicity. In Linda Manzanilla & Claude Chapdelaine (Eds.), Domestic life in prehispanic capitals : a study of specialization, hierarchy, and ethnicity, (pp. 21-42). Ann Arbor: University of Michigan, Museum of Anthropology.
(4) LÓPEZ AUSTIN, A., L. LÓPEZ LUJÁN, & S. SUGIYAMA. (1991). El Templo de Quetzalcoatl en Teotihuacan : su posible significado ideológico. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas (62), 35-52.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Arqueologia Mexicana n°99

Avec le titre "De la crónica a la arqueología: visión de cinco ciudades prehispánicas", l'editorial propose une levée bimestrielle un peu moins rutilante que son précédent numéro sur Moctezuma. En même temps, il est difficile de faire plus fort que celui qui reste une figure importante de l'identité mexicaine. Faisons donc un rapide tour du propriétaire. Après les quelques brêves rappelant les fouilles à Chichen Itza, la restauration de la petite pyramide ronde du métro Pino Suarez ou la sortie du catalogue de l'exposition Moctezuma. Azteca Ruler, co-édité par Leonardo Lopez Lujan et Colin Mc Ewan, on peut lire l'hommage rendu par Eduardo Matos Moctezuma au Dr Miguel Leon-Portilla pour les 50 ans de la publication Visión de los Vencidos: relaciones indigenas de la Conquista . Suit une présentation du Codex Ixtlilxóchitl par Manuel Hermann Lejarazu. Le titre de ce document fait référence à son illustre propriétaire, Fernando de Alva Ixtlilxochitl (1578
Au cœur de la zone archéologique de Tulum, dans l'État de Quintana Roo, une équipe de chercheurs de l'Institut national d'anthropologie et d'histoire (INAH) a fait une découverte extraordinaire. Alors qu'ils travaillaient dans le cadre du Programme de Mejoramiento de Zona Arqueológicas (Promeza) sur des sondages préalables à un nouveau sentier pour les visiteurs, une entrée de grotte cachée derrière un rocher a été mise au jour.  Enterrements 6 et 9. Photo : Proyecto de investigación Promeza, Tulum / Jerónimo Aviles Olguin. La découverte de cette grotte, située à l'intérieur de la zone fortifiée de Tulum, a été le point de départ d'une exploration qui a révélé des éléments remarquables. Lors des travaux de dégagement pour aménager un nouveau sentier entre les bâtiments 21 et 25, l'équipe a identifié une entrée scellée par un énorme rocher. En retirant ce dernier, ils ont révélé l'entrée d'une cavité jusqu'alors inconnue. À l'intérieu

Conférence au Musée d'Histoire Mexicaine de Monterrey

Un peu de pub pour notre chapelle. Après-demain, votre serviteur aura l'honneur de participer pour la troisième année consécutive aux Cuartas Jornadas de Estudios Mexicanos, organisées par l'Universidad de Monterrey au Museo de Historia Mexicana, dans le centre-ville de la Sultana del Norte. Au programme cette année, il sera question du "Passé préhispanique aux temps du Porfiriat et de la Révolution". Il s'agit simplement de présenter à un public non-spécialiste comment s'est forgée l'identité nationale mexicaine au moment du pouvoir autocrate de Porfirio Diaz en 1884 et 1910. Au delà de la redécouverte et de la réappropriation du passé préhispanique, on expliquera notamment la systématisation des études archéologiques et anthropologiques à cette époque. Je cherche d'ailleurs une revue pour publier la version de l'article que j'ai rédigé pour l'occasion. Si vous avez des contacts, envoyez-moi un courriel. Au pire des cas, j'utiliserai