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Sur les traces de quelques femmes peintres

Bannies il y a peu encore d'années des manuels d'histoire de l'art, les femmes peintres ont pourtant contribué pleinement à l'art... Pour en parler, il fallait donc compenser par un regard masculin, celui de Cuervo.

Il y a quelques mois, je vous faisais découvrir Diego Rivera, peintre muraliste mexicain de la première moitié du XXème siècle ( http://gazette.ditaime.com/article/81.html ) . Son épouse, Frida Kahlo, également peintre, ne connut la gloire que tardivement, juste avant de mourir. Pourtant Diego n'hésitait pas à dire que sa femme était une bien plus grande artiste que lui et qu'elle serait plus connue que lui. L'histoire lui a donné raison, mais seulement 30 ans plus tard.
L'exemple de Frida est symptomatique de ce que beaucoup de femmes-artistes ont connu : parfois célèbres et reconnues de leur vivant, les historiens de l'art (des hommes pour la plupart) ont souvent négligé la part considérable qu'elles ont pu avoir dans l'expression artistique en général, et dans la peinture en particulier. Ce sont les historiennes de l'art fémininistes américaines qui ont contribué à la redécouverte de bons nombre de femmes peintres (entre deux soutifs qu'elles brûlaient mais reconnaissons-leur au moins ce mérite! ).
Je vous propose donc de faire un petit voyage à travers les siècles et les pays à la découverte de femmes, parfois simple mère, parfois au destin hors du commun mais toutes mûes par la volonté profonde de représenter leur vision du monde.

Bien que plusieurs exemples de femmes peintres soient vérifiés au Moyen-Age ou à la Renaissance Italienne, nous commencerons notre étude périple par Artemisia Gentileschi. Cette Italienne (1593-1652), fille du maître baroque Orazio Gentileschi, a fait tout son apprentissage technique auprès de lui. Violée par un des assistants de son père et torturée pour vérifier si elle ne mentait pas pour son viol, Artemisia fuit Rome pour Florence et le mécénat des Médicis. Elle ne doit pas tarder à nourrir sa famille par ses toiles, étant donné que son mari revient souvent la bourse vide... Elle finit par le quitter pour rejoindre Naples. L'oeuvre d'Artemisia est marquée par de nombreuses scènes mythologiques ou bibliques. Influencée par le Caravage et le travail de son propre père, elle a dû se battre pour pouvoir peindre des corps d'hommes nus. Son père le lui refusait (foutue autorité paternelle de l'époque). Dans Judith décapitant Holopherne, Artemisia reprend le jeu de clair-obscur cher au Caravage mais insuffle à Judith et à sa servante une force et une sérénité dans leurs gestes qu'aucun homme n'a peint avant elle. La décapitation est présentée au premier plan, le sang jaillissant du coup d'Holopherne en grandes gerbes. Le spectateur est pris par la scène.


Ill. 1 : Judith décapitant Holopherne, 1611-1612, Naples, Museo e Gallerie nazionali di Capodimonte, huile sur toile.

Au XVIIème siècle, la France est considérée comme la référence artistique et littéraire partout en Europe au point que le français est la langue vernaculaire la plus utilisée. C'est sous le règne de Louis XV qu'Elizabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) connaît une reconnaissance de bon nombre de ses pairs masculins. Issue de la bourgeoisie, elle est soutenue par son père qui voit très tôt en elle une grande artiste. Epouse d'un peintre de piètre renommée (décidément), Elizabeth Vigée-Lebrun a souvent réalisé des portraits flatteurs de femmes de la Cour comme Marie-Antoinette ou la Comtesse du Barry (rien à voir avec la marque de foie gras). Elle devient peintre officiel de la reine en 1780. Des personnes jalouses de son ascension et de son succès lui font une mauvaise réputation. Au moment de la Révolution, elle s'exile à travers différentes cours d'Europe où son talent est également très apprécié. Une autre de ses spécialités est l'autoportrait. Plusieurs la mettent en scène avec sa fille. Toutes deux regardent vers le spectateur pour témoigner de leur relation privilégiée. Se dégagent une douceur, un bien-être dans le regard et dans le geste protecteur de la mère, chose presque unique dans la peinture de l'époque. Le travail de Vigée-Lebrun a marqué durablement la représentation de l'amour maternel.




Ill. 2 : Madame Vigée Lebrun et sa fille, 1786, Musée du Louvre. Huile sur panneau, 130 cm x 94 cm.

Une des élèves d'Elisabeth Vigée-Lebrun a également connu son heure de gloire quelques années plus tard. Il s'agit de Marie-Guillemine Benoist (1768-1826). Elle a également été disciple de Jacques-Louis David, peintre officiel de Napoléon Ier. Les thèmes abordés par Benoist sont bien plus marqués que ceux de Vigée Lebrun. Dans Portrait d'une Négresse, elle y donne une vision digne et respectueuse d'une servante noire (le mot nègre n'était pas aussi péjoratif qu'il l'est aujourd'hui). Beaucoup y ont vu par la suite la volonté de mettre en valeur l'émancipation de la femme et des Noirs. Toujours est-il que ce tableau a permis à Benoist d'obtenir une bourse qu'elle a utilisé pour ouvrir une école d'art réservée aux seules femmes.



Ill. 3 : Portrait d'une Négresse, 1800, Musée du Louvre.



Le XIXème siècle est marqué par la naissance de l'Impressionisme (cf. article de Ptite Marie à cette adresse : http://gazette.ditaime.com/article/30.html ). Tout le monde a en tête les noms de Monet, Sisley ou Renoir mais connaissez-vous Berthe Morisot ou Mary Cassat? Elles ont toutes deux repris le thème de la maternité abordé par Vigée Lebrun. Mais elles se démarquent toutes deux de leur glorieuse aînée par un sens de la couleur et de la lumière propre à ce courant artistique. Berthe Morisot (1841-1895), descendante du peintre Fragonard et élève de Manet, a souvent représenté sa soeur Edma et sa fille Blanche. Le berceau se caractérise par une délicatesse extrême du traitement de l'enfant, vu à travers le tule qui recouvre son lit. Les couleurs nacrés des voiles font ressentir les vêtements d'Edma et sa pose bienveillante aux côtés de l'enfant endormie.




Ill. 4 : Le berceau, 1872, Musée du Louvre. Huile sur toile, 56 cm x 46 cm.



Mary Cassat
(1844-1926), compagne américaine de Degas, a également évolué dans un milieu favorisant son talent. Elle utilise notamment un thème cher à ses collègues masculins : les baigneuses. Elle se démarque en faisant appel à ses modèles favoris : les femmes ET les enfants. Les ors et les fuchsia sont fréquemment utilisés dans ses toiles et leur confèrent fraîcheur et spontanéité. En témoigne Le bain :




Ill. 5 : Le bain, 1910. Paris, Musée du Petit Palais, Huile sur toile, 97,5 cm x 130,5 cm.



Impossible de traiter l'ensemble des femmes peintres qui se sont succédées au cours du temps. En aucun cas, cette présentation n'est exhaustive : j'aurai pu également mentionner Anne Vallayer-Coster, contemporaine de Benoist, Séraphine de Senlis (début XXème), Suzane Valodon ou Sonia Delaunay qui ont contribué grandement à l'épanouissement de la sensibilité féminine à travers la peinture. Bon nombre de peintres hommes ont reconnu l'influence que certaines ont pu avoir sur l'oeuvre. Mais bien plus que cette sensibilité si particulière aux femmes, c'est leur force, leur conviction à réussir dans un milieu parfois dur et critique qui rend leurs toiles si belles et si fortes. Mais au final, les femmes peintres ont abandonné peu à peu ce qui semblaient leur être des thèmes réservés et n'hésitent pas à faire scandale avec leurs toiles.

Pour plus d'informations sur ce sujet, je vous renvoie à quelques articles web qui m'ont aidé à réaliser celui que vous avez sous les yeux :
  1. "Artemisia Gentileschi, artiste peintre et femme libre". Par Pascal Beaudet sur : http://sisyphe.org/article.php3?id_article=995
  2. Article "Elisabeth Vigée-Lebrun sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Vig%C3%A9e-Lebrun
  3. Article "Marie-Guillemine Benoist" sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Guillemine_Benoist
  4. Article "Berthe Morisot" sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Berthe_Morisot
  5. Article "Mary Cassat" sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Cassatt

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